
Le Calame – Depuis quelques jours, les autorités mauritaniennes ont entrepris d’arrêter et d’expulser des migrants irréguliers vers leur pays respectif. Il s’agit principalement du Sénégal, du Mali et de la Guinée. Ces rafles qui entrent dans le cadre des efforts du gouvernement à lutter contre l’immigration clandestine vers l’Europe inquiètent certains mauritaniens qui n’ont pas pu se faire enrôler depuis 2012 car ils peuvent être raflés par les forces de l’ordre lors de ces arrestations intempestives…
La Mauritanie a récemment renforcé le contrôle de ses frontières avec le Mali et le Sénégal. Jadis pays de transit des migrants de l’Afrique de l’Ouest, elle est devenue point de départ vers les côtes espagnoles. Des centaines de milliers de migrants ont été ainsi enregistrés, particulièrement entre 2023 et 2024. Lors de la dernière conférence de presse hebdomadaire des ministres, le porte-parole du gouvernement a révélé que sur les cent trente mille entrants enregistrés l’an dernier, seuls sept mille ont sollicité un renouvellement de leur titre de séjour, ce qui laisserait environ cent vingt-trois mille personnes en situation irrégulière. Pourtant et à en croire le gouvernement et la presse, un gros travail a été entrepris par les autorités mauritaniennes, appuyées par l’Espagne et l’UE, pour endiguer les départs des barques.
La décision d’augmenter les contrôles des migrants clandestins vers l’Europe via les côtes italiennes et, surtout, espagnoles a suscité des réactions de plusieurs partis politiques et mouvements de la Société civile en Mauritanie et dans les pays voisins, accusant le gouvernement d’agir en « gardien des frontières de l’UE », d’une part et de pratiquer, d’autre part, une véritable « chasse aux sorcières » des ressortissants Ouest-africains vers les pays voisins, Sénégal, Mali et Guinée, notamment. Des accusations que réfutent le gouvernement mauritanien, évoquant « une mesure liée aux missions routinières de sécurité » menées par les autorités. Le porte-parole du gouvernement a rappelé que les accords de circulation avec le Sénégal remontent à 1972 et à 1963 ceux avec le Mali. « C’est dans ce cadre », a-t-il indiqué, « que les postes de passages frontaliers sont passés de cinquante à quatre-vingt-un dont l’essentiel profitent à nos voisins immédiats et à la Guinée ».
Tour de vis
Bref, si les autorités mauritaniennes justifient leur tour de vis et les expulsions par leur détermination à lutter contre le trafic de migrants, leur dernière décision intervient dans un contexte marqué par des visites officielles en Mauritanie, à quelques mois d’intervalle, de la Présidente de la Commission européenne, madame Ursula von Der Leyen, du Premier ministre espagnol, monsieur Pedro Sanchez, et, tout récemment, du président des Îles Canaries, monsieur Fernando Clavijo. L’objectif affiché était de renforcer le partenariat avec la Mauritanie en termes de transition écologique, sécurité et migration. Sur ce dernier point, l’UE et l’Espagne apportaient déjà un précieux appui financier et logistique à la Mauritanie pour faire tarir la source des migrations clandestines à partir de ses côtes mais les départs ne faisaient qu’augmenter. Il fallait donc en parler sur place à Nouakchott et voir comment juguler ce phénomène. Lors de ces visites, un accord de partenariat d’un montant de 210 millions pour lutter contre la migration a été signé.
Il repose sur cinq points. En un, élargissement des perspectives d’emploi : en renforçant l’accès à la formation professionnelle, l’accès au financement pour les entreprises et en améliorant les aptitudes et les compétences des jeunes Mauritaniens, en particulier les femmes. En deux, protection et asile : en appuyant les efforts de la Mauritanie à gérer l’arrivée de réfugiés, en commençant par augmenter ses capacités d’accueil destinées à protéger les plus vulnérables. En trois, promotion de la migration légale : en encourageant la mobilité, notamment celle des étudiants, des chercheurs et des entrepreneurs, ainsi qu’en étudiant comment renforcer plus encore la mobilité circulaire et l’accès au marché de l’emploi de l’UE pour les Mauritaniens vivant en Europe et les aider à s’y intégrer.
Vive polémique
En quatre, renforcement de la coopération pour prévenir la migration irrégulière : l’objectif est de lutter contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, en protégeant les victimes, au moyen d’enquêtes conjointes, d’une sécurité renforcée et d’une coopération opérationnelle. La coopération sera également renforcée en matière de retour et de réadmission en ce qui concerne les Mauritaniens en séjour irrégulier dans l’UE, dans le respect de leurs droits et de leur dignité. Et, enfin, renforcement de la gestion des frontières : en intensifiant la coopération en matière d’opérations de recherche et de sauvetage, et en accroissant les capacités des autorités chargées de cette gestion, notamment grâce à une coopération renforcée avec Frontex, en particulier en ce qui concerne la formation et les équipements.
Cet accord, on se rappelle, avait suscité une vive polémique. Des rumeurs circulant à Nouakchott avaient laissé entendre que la Mauritanie allait recevoir et héberger des migrants refoulés d’Europe. Certains partis politiques et des organisations de la société civile avaient accusé le gouvernement mauritanien d’avoir accepté un accord analogue à celui signé entre la Grande-Bretagne et le Rwanda, selon lequel les migrants ou réfugiés expulsés ou interceptés en mer vers l’Europe pouvaient être renvoyés dans ce pays d’Afrique centrale. Pour les détracteurs des autorités mauritaniennes, le pays joue donc bel et bien un rôle de « gardien des frontières de l’UE ».
Dans la foulée de cet accord, l’Espagne, pays qui voit ses frontières envahies par des dizaines, voire centaines de milliers de migrants a proposé la migration circulaire avec la Mauritanie et le Sénégal qui permettrait de lutter contre la migration clandestine et de fournir de la main d’œuvre agricole régulière à l’Espagne. Selon les chiffres officiels espagnols, 83% des migrants arrivant aux Îles Canaries par voie irrégulière transitent par la Mauritanie. Mais le quota offert n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. La première sélection en date de Décembre dernier n’a en effet concerné que… cinquante jeunes. Alors que les candidats au départ ne cessent de se bousculer à l’embarquement clandestin…
Dalay Lam
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