Claudy Siar : «L’Afrique et ses diasporas donnent le tempo au monde entier»

Cela fait 30 ans que Couleurs Tropicales anime les soirées de la radio du monde. Un anniversaire qui sera célébré en direct ce jeudi 13 mars sur RFI. À cette occasion, Claudy Siar, la voix de l'émission des musiques afro, fait le bilan de ces trois décennies. Rencontre.

RFI – RFI Musique : Comment es-tu arrivé sur RFI ? Que faisais-tu avant 

Claudy Siar : Avant d’arriver sur RFI, je faisais déjà de la radio depuis un bout de temps puisque j’avais été assistant à Europe 1 et chroniqueur à France Inter. J’étais aussi à la télévision sur France 3 et sur M6 durant la saison 1994-1995. Et j’avais envie d’être en prise directe avec l’Afrique, parce que c’était mon combat depuis mon adolescence : mettre en valeur mes cultures afro-caribéennes et africaines. Je suis allé frapper à la porte d’Africa N°1 qui voulait vraiment m’embaucher. Le patron de l’époque m’a dit « On vous voit à la télévision, vous êtes connu, ce serait super ». Et finalement, au bout de quinze jours, il me dit « Certaines personnes ont peur que vous leur fassiez ombrage en arrivant à Africa N°1 ». Finalement, quinze jours après, c’est RFI qui m’appelle. Je n’ai jamais su qui avait soufflé mon nom. Je connaissais déjà l’émission Canal Tropical qui était présentée par Gilles Obringer. Il animait depuis la Guyane au début des années 80 et j’étais venu le voir faire son émission sans jamais imaginer un jour que je serai sur RFI. Lorsque Gilles nous a quittés le 4 février 1995, ça m’a beaucoup attristé.

Comment Couleurs Tropicales a été créée ? 

Couleurs Tropicales est née sur le terreau fertile de Canal Tropical. André Larquier, qui était président de RFI à l’époque, voulait que je conserve Canal Tropical. Moi, je ne voulais pas, parce que je trouvais que Gilles Obringer avait écrit son histoire et que je devais écrire la mienne. J’ai proposé des noms qui n’ont jamais plu. Le président voulait que ça se rapproche de Canal Tropical. Et un soir, je trouve Couleurs Tropicales, tout au pluriel. Je lui propose et il trouve ça génial. C’est comme ça que j’ai commencé le 13 mars 1995 sur RFI. Je dois beaucoup à Couleurs Tropicales. Je dois beaucoup à RFI et ça je ne l’oublie jamais.

Il y a ce gimmick de l’émission : « Toi-même, tu sais ! ». Qu’est-ce que ça veut dire 

C’est une expression que j’ai inventée et que tout le monde m’a pompé après [rires]. Ça s’inspire de la façon dont parlaient les jeunes en Côte d’Ivoire au milieu des années 80, avec tout le mouvement Niama-niama. Et cette expression-là, les rappeurs la disaient dans leurs chansons. Ils reprenaient le slogan. Ça a même fait l’objet d’un programme court sur une chaîne de France Télévisions. Donc j’étais assez fier. Ça a marqué l’identité de Couleurs Tropicales, entre autres, avec l’esprit de la Génération consciente.

À propos de la Génération consciente, celle des débuts il y a 30 ans, comment parlerait-elle à la Génération consciente d’aujourd’hui ?  

Dès le départ, je me suis dit que cette génération consciente, elle devrait, pour perdurer, ne pas être une génération en termes d’âge, mais en termes de mode de pensée. Des jeunes et des moins jeunes qui ont une vision sur eux-mêmes, un regard sur le monde et qui soient dans ce panafricanisme universaliste. Il s’agissait de savoir comment panser les blessures d’une Afrique et des peuples afro-descendants. Les blessures dues à l’histoire, au quotidien, au racisme et aux discriminations un peu partout. Et d’avoir aussi ce dynamisme-là pour dire que nous sommes le monde, avec tout le monde. C’est ça l’esprit de la Génération consciente. Ce n’est pas du tout quelque chose qui peut vieillir dans le temps. On reçoit certains messages de personnes qui nous disent : « Moi, j’écoutais Couleurs Tropicales à ses débuts, je suis de la Génération consciente » et il y a aussi des gens très jeunes qui nous disent : « Je suis de la Génération consciente ». Et j’aime bien, ça m’amuse beaucoup. Cela veut dire que beaucoup ont compris quel était l’état d’esprit.

Il y a cette diaspora à laquelle on s’adresse dans Couleurs Tropicales. Est-ce qu’avec le temps, ce n’est pas devenu aussi une communauté 

C’est une communauté, mais ça reste toujours une communauté humaine. Je pense que lorsqu’un groupe humain tente de sublimer ses cultures, ses identités, c’est avant tout pour les partager avec d’autres, sinon elles n’existent pas. Si cette communauté n’existe que pour vous, elle n’a pas grand sens. Et c’est pour ça qu’il faut toujours et encore rappeler que l’Afrique et ses diasporas donnent le tempo au monde entier, notamment en termes de musique. Parfois, lorsque je vois des politiques se saluer à la manière hip-hop, c’est-à-dire mettre les épaules contre les épaules. C’est hip-hop et ça vient d’une culture afro mise en avant par la musique.

En 30 ans de musique, est-ce que Couleurs Tropicales a noué des liens avec certains artistes plus que d’autres 

Beaucoup de gens savent que Couleurs Tropicales a une relation particulière avec Magic System, avec Kassav’. Je cite ces deux-là, mais il y a tellement d’artistes en réalité. Je dis toujours que notre talent résulte dans notre capacité à mettre en valeur les femmes et les hommes artistes que nous accueillons. Et on ne reçoit pas à Couleurs Tropicales des artistes stars ou pas stars. On ne reçoit que des gens pour qui on se dit « Waouh ! Cet artiste-là mérite d’être entendu ». Et c’est pour ça que nous arrivons à donner la même énergie pour un artiste débutant que pour un artiste très connu. On ne veut rien dissocier. On a toujours ce besoin, cette envie et ce devoir de rappeler celles et ceux qui ont façonné le monde musical afro et ceux qui le façonnent aujourd’hui. Et je pense que c’est ce qui fait aussi la force de Couleurs Tropicales.

En 2002, tu as dit dans une interview « Je suis persuadé que la musique fera évoluer les mentalités des peuples afro, car beaucoup s’interrogent ». Et aujourd’hui, plus de 20 ans après, c’est toujours le cas 

Aujourd’hui, je dirais la même chose. Mais ça ne se passe pas tout à fait comme je l’aurais imaginé. Je pense que beaucoup trop d’artistes veulent plaire à une certaine industrie ou sont dans une forme de mimétisme. Et ils oublient la puissance de la musique et ce que la musique a toujours été pour les peuples afro. Les Africains des diasporas, les Africains déportés pour être esclaves dans les Caraïbes, les Amériques, l’Océan Indien… La musique les a aidés, sur leurs terres d’infortune, à vivre, à survivre et à développer une culture extraordinaire et des musiques devenues des musiques populaires. Un artiste comme Bob Marley a permis de faire évoluer beaucoup de choses dans l’histoire de l’humanité. Parce qu’il revendiquait son africanité, il était métis et chantait le respect et l’amour. Il le faisait sur une musique qu’il a réussi à populariser sur la planète entière et qu’on écoute aujourd’hui en grande partie grâce à lui. Lorsque je vois les Nigérians avec l’afrobeats, c’est extraordinaire ce qui se passe. Et j’aimerais que dans les textes, il y ait aussi ce qu’ils sont vraiment.

Tu avais dit aussi de Kassav’ qu’ils avaient aidé à réconcilier l’Afrique et les Antilles. Est-ce que Couleurs Tropicales a joué un rôle dans cette « réconciliation » 

Cet exemple de Kassav’, c’est pour moi le meilleur résumé de Couleurs Tropicales. Césaire a permis à des Antillais et à des Africains de se regarder différemment. Mais il faut avoir accès à la littérature de Césaire pour ça. Kassav’ donne son premier concert à Abidjan en 1985. C’est Gilles Obringer qui présente le concert et qui fait connaître Kassav’ en Afrique grâce à l’émission Canal Tropical. C’est après ça que Kassav’ devient un groupe international. Comme Couleurs Tropicales a fait connaître Magic System dans le monde grâce à une multidiffusion. Donc oui, c’est le cœur du travail de Couleurs Tropicales : comment réussir à réconcilier ça. Beaucoup de gens en Afrique pensent que je suis du Cameroun, de Côte d’Ivoire, du Mali ou du Sénégal… Il y a plein de gens qui spéculent et j’ai été adopté par tout le monde comme si j’étais originaire de ce continent-là. C’est encore une autre victoire de Couleurs Tropicales et je ne remercierai jamais assez RFI pour ça. Parce qu’en réalité, je suis un Africain de la Caraïbe et que la terre qui est la mienne, la Guadeloupe, est gorgée de cette africanité que je rends.

 

Couleurs Tropicales fête ses 30 ans, jeudi 13 mars à 20h10 TU / 21h10 en France, en direct sur RFI, YouTube et Facebook

 

 

 

Franck Bodin

 

 

 

Source : RFI

 

 

 

 

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