Tueries en Syrie : Ahmed Al-Charaa confronté au premier grand défi de sa présidence

Les efforts du président par intérim, pour consolider sa mainmise sur la Syrie et assurer une transition pacifique sont mis à mal par les affrontements sanglants entre les partisans de l’ancien dictateur Al-Assad et ceux du nouveau régime.

Le Monde – Trois mois après avoir chassé du pouvoir le dictateur syrien Bachar Al-Assad, le 8 décembre 2024, le président par intérim, Ahmed Al-Charaa, fait face au premier véritable test de sa gouvernance. Les efforts que l’ancien chef du groupe islamiste sunnite Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) a entrepris pour polir son image auprès des Syriens et de la communauté internationale, consolider sa mainmise sur la Syrie et assurer une transition pacifique dans un pays rendu exsangue par la dictature des Al-Assad, ont été balayés en l’espace de trois jours.

Les plaies de treize ans de guerre civile, un temps oblitérées par l’euphorie de la libération des griffes du régime d’Al-Assad, se sont rouvertes, béantes, le 6 mars. Menacé de perdre le contrôle de bastions alaouites du centre et de l’ouest du pays sous les attaques de partisans du président déchu, Ahmed Al-Charaa est tombé dans le piège qu’ils lui ont tendu. Ce dernier a été débordé par les factions islamistes radicales qui lui sont alliées et par les partisans sunnites ayant répondu à son appel à la mobilisation générale, faute d’hommes en nombre suffisant parmi les troupes disciplinées qui lui répondent.

Fractures confessionnelles

 

Des djihadistes étrangers, des factions armées et des miliciens sunnites, chauffés à blanc par les discours incendiaires de prédicateurs salafistes, ont laissé libre cours à leur haine contre la minorité alaouite. Celle-ci est accusée des crimes du clan Al-Assad dont elle a constitué, de gré, mais aussi souvent de force, la base du pouvoir. Loin des discours d’ouverture et d’inclusivité prônés par Ahmed Al-Charaa et son entourage, les exactions contre de centaines de civils alaouites ont ramené la Syrie à ses fractures confessionnelles.

Ces agissements révèlent les écueils de la stratégie de consolidation du pouvoir, adoptée par Ahmed Al-Charaa. Après une prise de pouvoir relativement aisée, facilitée par l’effondrement de l’armée syrienne, le nouveau dirigeant de Damas a cherché à bâtir sur le succès de la restructuration du groupe HTC et de sa gouvernance dans la province d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, depuis 2017. Mais, contrairement à Idlib, la Syrie est un vaste pays morcelé, multiconfessionnel et multiethnique.

Ahmed Al-Charaa s’est reposé sur ses combattants et cadres loyaux pour consolider son pouvoir, fragile, et constituer un embryon d’armée nationale. Beaucoup ont un agenda bien plus conservateur et islamiste que le sien, et un long passif d’exactions lors de la guerre civile. Il se trouve parmi eux des djihadistes étrangers (notamment tchétchènes, ouïgours, jordaniens et turcs) et syriens qui lui sont restés loyaux après sa rupture avec Al-Qaida. Il a dû élargir son cercle à d’autres groupes, comme les factions rebelles proturques de l’Armée syrienne libre, elles aussi coupables d’exactions, qui l’ont aidé à prendre le pouvoir.

Tout en cherchant à canaliser les tentations extrémistes de ses alliés au pouvoir, il a répondu timidement aux demandes d’ouverture et d’inclusivité des minorités et des acteurs de la société civile avec un dialogue national, prometteur mais limité dans ses ambitions. Les questions de justice transitionnelle ont été oblitérées par des défis jugés plus urgents : la sécurité et l’économie, étouffée par les sanctions internationales imposées sous le régime d’Al-Assad.

Interférences étrangères

 

Malgré les mains tendues aux forces kurdes et druzes, les velléités d’autonomie ont été confortées, et même appuyées par des interférences venues de l’étranger. Celles d’abord des Kurdes, qui contrôlent le nord-est du pays, peu pressés de parvenir à un accord avec Damas, tant qu’ils ont le soutien de Washington. Celles des druzes du Sud syrien, ensuite, qu’Israël tente d’instrumentaliser pour déstabiliser les nouvelles autorités. Ce sont les loyalistes de l’ancien régime, considérés à tort comme étant sous contrôle, qui ont finalement lancé la rébellion contre les forces de sécurité syriennes, faisant près de 300 morts dans leurs rangs.

Tandis que les exactions et les purges contre la minorité alaouite se multipliaient, malgré les promesses de protection et de justice faites par les nouvelles autorités, les partisans du président déchu ont affûté leurs armes, reclus dans les montagnes alaouites de Lattaquié et de Tartous, pour éviter d’être appréhendés pour leurs crimes passés. On leur prête des soutiens à l’étranger parmi les anciens alliés des Al-Assad, comme l’Iran, le Hezbollah libanais et les milices chiites irakiennes.

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 (Damas, envoyée spéciale)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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