Les médias du milliardaire Vincent Bolloré défendent désormais ouvertement la Russie

Depuis que Donald Trump tend la main à Moscou sur le conflit ukrainien et que son vice-président, J. D. Vance, proclame que la « liberté d’expression » serait menacée en Europe, radio, télés et journaux d’extrême droite soutiennent aussi Vladimir Poutine.

Le Monde  – L’e-mail a été adressé à une liste de diffusion française le 18 février. Expéditeur : la maison Fayard, bastion du nouveau groupe d’édition du milliardaire conservateur Vincent Bolloré. « Bonjour, alors que les déclarations récentes de Donald Trump et J. D. Vance dénoncent un recul de la liberté d’expression en Europe, Xenia Fedorova (…) offre un témoignage inédit », écrit le directeur de la communication, Yenad Mlaraha, pour vanter Bannie (306 pages, 21,90 euros), le livre de l’ex-présidente de Russia Today, chaîne russe diffusant la propagande du Kremlin et interdite sur le sol européen depuis 2022. « Peut-on encore tout dire en Europe ? », ajoute l’ex-conseiller en communication (2022-2023) de Marlène Schiappa qui, avant de rejoindre Fayard, avait été recruté dans l’équipe de « Touche pas à mon poste ! » (« TPMP »), l’émission de Cyril Hanouna.

Le communiqué de Fayard a été envoyé quatre jours après le discours tenu le 14 février à Munich par le vice-président des Etats-Unis, J. D. Vance, qui a à la fois soutenu l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême droite allemand, et accusé les dirigeants européens de « détruire la démocratie » – sans un mot sur la dictature et la censure pratiquées par Vladimir Poutine, avec qui Donald Trump lançait des pourparlers.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, personne en France n’osait guère afficher ses sympathies pour le président russe. Le rapprochement inédit avec Moscou opéré par l’administration Trump a fait sauter ce tabou en quelques jours. Les bouches s’ouvrent, les masques tombent, comme si la caution du président et du vice-président américains avait levé les inhibitions de l’extrême droite française.

« Escroquerie européenne »

 

Le 21 février, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, se rend à Washington décliner la doxa trumpiste sur la chaîne pro-Trump Newsmax. Il y plaide la cause de C8, la chaîne de Vincent Bolloré, qui a perdu sa fréquence après avoir été sanctionnée 35 fois pour les infractions commises dans l’émission de Cyril Hanouna. Et colle aux vues de l’équipe Trump sur la guerre en Ukraine, préférant la « négociation » au soutien militaire à Kiev.

Invitée, comme lui, au grand show des conservateurs, la Conservative Political Action Conference (CPAC), à Washington, Sarah Knafo, égérie française du trumpisme, attendait dans les loges le milliardaire Elon Musk, qui a fait de son réseau X une arme politique. A l’en croire, le patron de Tesla l’aurait encouragée : « Défendez le free speech. »

Défendre une « liberté d’expression » pour leur seul usage, tout en écartant des journalistes indépendants, en procédant à des purges, en intimidant les adversaires « progressistes »… Dès mi-février, Vincent Bolloré s’adosse à l’offensive idéologique de J. D. Vance et donne le « la » dans son puissant groupe. Du Journal du dimanche (JDD) à Europe 1 en passant par CNews, la vision trumpiste est distillée chaque jour – quitte à réhabiliter le régime de Moscou.

Le 3 mars, sur CNews, l’animateur Pascal Praud affirme dans un édito défaitiste qu’il faut cesser le combat : « La Russie a gagné la guerre et nous, Européens, l’avons perdue, avec l’Ukraine » – éclipsant l’échec de l’armée russe à conquérir Kiev en trois jours, comme Vladimir Poutine l’avait planifié. Le 4 mars : « Il ne s’agit pas de défendre Trump, mais de le comprendre », insiste-t-il, avant de déduire : « L’escroquerie européenne éclate au grand jour. »

« Discours belliqueux » de Macron

 

L’Europe, voilà l’ennemie désignée dans la bollosphère. Philippe de Villiers, désormais tête d’affiche de CNews, glisse sur Europe 1 que, s’il devenait président, Cyril Hanouna « ser[ait] son J. D. Vance ». Il déroule dans Le JDD la thèse complotiste déjà exposée en 2019 dans un livre publié chez Fayard : l’Union européenne serait une pure création des Etats-Unis et Jean Monnet (1888-1979, l’un des « pères » de l’Europe) un agent au service des intérêts américains. Sur CNews, devant la journaliste Laurence Ferrari, le philosophe Michel Onfray soutient, le 1er mars, contre toute vérité historique, que Monnet « a été payé par la CIA ». Curieuse accusation venant de voix qui s’alignent sur les positions de Washington et de Moscou.

Au même micro de Laurence Ferrari, Jordan Bardella ose, le 6 mars, après s’être fait inviter au rendez-vous du monde MAGA à Washington : « Emmanuel Macron est en France sans être de France. » Les nationalistes français accordent leur patriotisme au trumpisme. Le 5 mars au soir, de retour dans un « TPMP » désormais diffusé en ligne, Cyril Hanouna martèle que le président de la République se tient du côté des bellicistes, alors qu’il vient de tenter de négocier avec Trump : « Moi il me fait peur Emmanuel Macron. Il a fait un discours extrêmement belliqueux. Il n’a pas compris qu’il va falloir qu’il discute avec Donald Trump. »

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Source : Le Monde

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