
Info Migrants – Depuis quelques jours, des centaines de ressortissants maliens, guinéens, sénégalais et ivoiriens en situation irrégulière ont été interpellés et placés dans un centre de rétention de Nouakchott, en vue de leur expulsion. Seuls une dizaine d’exilés, des Sénégalais, ont pour l’instant été rapatriés.
La Mauritanie serre la vis. Depuis quelques jours, des centaines de migrants en situation irrégulière sur le territoire ont été arrêtés et placés en rétention à Nouakchott, en attendant leur expulsion. « La majorité des personnes interpellées sont des ressortissants sénégalais, guinéens, maliens et ivoiriens », peut-on lire dans plusieurs titres de la presse mauritanienne.
Dans le centre de rétention, les exilés sont soumis à l’enregistrement de leurs empreintes digitales. Ils doivent être ensuite conduits en bus vers leurs pays d’origine.
Pour le moment, seule une dizaine d’exilés sénégalais ont été rapatriés dans leur pays, Dakar refusant d’accueillir tout ressortissant d’un autre pays. D’après le site Africa Guinée, ce refus « pourrait entraîner le transfert [des autres migrants] vers les frontières de la Mauritanie avec son voisin du sud-est (le Mali), où la situation sécuritaire est instable, ce qui pourrait mettre leur vie en danger ». Les autorités mauritaniennes n’ont pour l’instant pas donné plus d’informations sur la destination finale des expulsions.
D’après le média Kewoulo, toute personne expulsée de Mauritanie, quelque soit sa nationalité, sera désormais interdite de territoire pour une durée de deux ans.
Cette vague d’interpellations s’accompagne d’une surveillance plus accrue aux frontières mauritaniennes. Depuis dimanche 2 mars, « un nouveau système de transit biométrique aux points de passage frontaliers » a été mis en place, « pour renforcer la surveillance des mouvements des voyageurs et assurer un enregistrement précis de leurs données », assure le journal sénégalais Le Quotidien.
Selon un communiqué de la police mauritanienne, 35 points de passage frontaliers ont déjà été équipés de cette technologie, et des efforts sont en cours pour étendre son déploiement à d’autres zones.
« Je voulais une autre éducation pour mes enfants »
La Mauritanie est un pays de transit majeur pour les migrants originaires d’Afrique de l’Ouest qui souhaitent se rendre en Europe via la route des Canaries. Selon les autorités espagnoles, 83 % des migrants qui débarquent dans l’archipel transitent par la Mauritanie. Et d’après les Nations Unies, le nombre de migrants en provenance des pays du Sahel est passé de 57 000 en 2019 à plus de 112 000 en 2023.
Amy et sa famille, originaires du Sénégal et aujourd’hui hébergés à Grande Canarie, ont passé quelques années en Mauritanie avant de traverser l’Atlantique pour l’Espagne. « La vie n’y était pas trop difficile, mais je voulais une autre éducation pour mes enfants. Je veux qu’ils fassent des études en français, c’est mieux pour leur avenir », avait confié la mère de famille à InfoMigrants en juin 2024. « Moi je ne voulais pas prendre la mer, mais on n’avait pas d’autres solutions pour aller en Europe. Et rentrer au Sénégal, c’était hors de question. C’est trop dangereux pour moi et ma famille ».

La plupart des candidats au départ comme Amy partent de Nouadhibou, sur la côte nord-ouest de la Mauritanie. Depuis la réactivation de la route des Canaries peu après 2020, cette ville est devenue un point de passage important pour les exilés, au nombre de 30 000 sur 140 000 habitants au total.
Un accord à 210 millions d’euros
Pour freiner les arrivées de migrants sur son sol, l’Union européenne a renforcé ses liens avec la Mauritanie, dans la lignée de sa stratégie d’externalisation des frontières déjà appliquée en Tunisie ou en Turquie notamment. Le 7 mars 2024, Nouakchott et Bruxelles ont signé un partenariat visant à lutter contre l’immigration illégale vers le Vieux Continent. Au programme : renforcement de la coopération entre agences, démantèlement des réseaux de passeurs et délégation des contrôles, le tout grâce à une enveloppe de 210 millions d’euros accordée au pays saharien.
De son côté, le président mauritanien Mohammed Ould Ghazouani avait garanti la volonté de son pays à agir contre l’immigration irrégulière. La Mauritanie est « totalement engagée » aux côtés de l’Espagne et de l’UE face aux flux migratoires irréguliers, avait-il déclaré. « Nous devons faire de gros efforts pour garantir leur sécurité et pouvoir contrôler les frontières, mobiliser nos forces de sécurité et renforcer les services de base ».
En septembre 2024, le ministre de l’Intérieur Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine a partagé les premiers résultats de cette politique. Sur les huit premiers mois de l’année 2024, le pays a expulsé 10 753 migrants, soit une augmentation de 14 % par rapport à l’année dernière.
Ces campagnes d’interpellations de migrants ne sont pas nouvelles. En 2008 déjà, alors que la route des Canaries était très empruntée, Amnesty International dénonçait dans un rapport l’arrestation et l’expulsion d’exilés « vers le Mali ou le Sénégal sans aucun droit de recours pouvant remettre en cause cette décision ». Des ressortissants d’Afrique de l’Ouest avaient à l’époque affirmé à l’ONG avoir été arbitrairement arrêtés dans la rue ou chez eux et accusés, apparemment sans élément de preuve, d’avoir l’intention de vouloir rejoindre l’Espagne.
« Cette politique d’arrestations et de renvois collectifs de la part des autorités mauritaniennes fait suite aux pressions intenses exercées sur ce pays par l’Union européenne (UE) et notamment l’Espagne qui cherchent à impliquer certains pays africains dans leur lutte contre les migrations irrégulières vers l’Europe », avait déploré Amnesty.
« Gardes-frontières de l’Europe »
Pour Hassane Koné, chercheur principal à l’Institut d’études de sécurité ISS-Africa et ancien colonel de gendarmerie en Mauritanie, ce partenariat est pourtant loin d’être adapté au contexte de la région, et augure peu de résultats. « Au lieu de devenir les gardes-frontières de l’Europe ou des lieux de réinstallation, les pays de transit devraient consulter les pays d’origine et de destination, sous l’égide de l’Union africaine, pour trouver des solutions qui leur conviennent », écrit-il dans un article publié par ISS-Africa.
« Les pays africains devraient éviter de consacrer des ressources et l’aide au développement européenne au renforcement des contrôles aux frontières, ajoute-t-il. Ils devraient plutôt investir dans des solutions collectives qui s’attaquent aux causes profondes de la migration irrégulière, notamment en améliorant la gouvernance des investissements visant à créer des emplois et à réduire la pauvreté et les inégalités ».
Pour rappel, d’après la Commission européenne, près d’un quart des 94 millions d’habitants du Sahel ont besoin d’une aide humanitaire et d’une protection, soit 10 millions de plus qu’en 2020. La plupart sont des femmes et des enfants.
Source : Info Migrants (France)
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