
Chantiers interrompus, héritages spoliés, expropriations… La toile ivoirienne croule, depuis plusieurs semaines, sous les récits de conflits fonciers et les accusations de corruption portées contre des agents du ministère de la construction. Des différends alimentés par l’inadéquation entre les droits coutumiers perpétués par les chefs de village et le système moderne de propriété foncière, qui s’invitent dans le champ politique, à l’approche de l’élection présidentielle d’octobre 2025.
Le débat a été relancé par la diffusion, le 7 février, sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant une femme au bord des larmes s’adressant au président de la République et au ministre de la construction. « Dame Traoré Assatou », qui dit vivre et travailler en France, a investi ses économies dans l’achat d’un terrain à Cocody, une des communes d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Elle assure avoir reçu, en 2015, une « attestation villageoise » de la part du propriétaire coutumier et avoir engagé les démarches auprès de l’administration pour obtenir l’arrêt de cession définitive (ACD), en d’autres termes, son titre de propriété. Sans qu’on lui explique pourquoi, ce dernier ne lui a jamais été accordé. Il a simplement échu à un autre acheteur.
Le ministère de la construction mis en cause
L’histoire a suscité un tel afflux de témoignages mettant en cause des agents du ministère de la construction, en particulier pour le projet de lotissement de Bessikoi, à Cocody, que les autorités ont annoncé dans un communiqué, le 21 février, l’ouverture « d’une enquête interne approfondie, afin d’établir les faits et d’identifier les éventuelles responsabilités ». Interrogé deux jours plus tard sur le plateau de la Nouvelle chaîne ivoirienne (NCI) en qualité de représentant du gouvernement, Abdoulaye Diallo, directeur du domaine urbain au ministère de la construction, a fait savoir qu’une « vingtaine d’agents [avaient] été virés » récemment dans son service, en raison de pratiques « pas très catholiques ».
Le problème, a-t-il toutefois reconnu, dépasse les cas individuels de corruption. « Chaque fois que nous recevons des usagers, a-t-il poursuivi, c’est pour des problèmes fonciers. Depuis la fin des années 1990, les problèmes se sont accumulés et aujourd’hui, on est arrivés à un point où ça risque d’exploser. »
Dans le système actuel, les chefs traditionnels délivrent une attestation villageoise pour reconnaître qu’un individu possède des droits coutumiers sur un terrain. Après quoi ce propriétaire, ou l’acheteur à qui il vend ce terrain, doit faire reconnaître sa propriété par le ministère de la construction et de l’urbanisme via la délivrance d’un ACD.
« L’impression d’être exclus de la propriété »
Les erreurs, conflits et malversations peuvent intervenir à toutes les étapes du processus. En amont de la signature de l’attestation villageoise, si plusieurs héritiers d’une même parcelle revendiquent à titre individuel une propriété qui est, traditionnellement, collective, ou en cas de conflit de compétence territoriale entre chefs de villages frontaliers, comme c’est le cas sur le lotissement de Bessikoi. Ou en aval, si le chef a accepté de décerner plusieurs attestations sur le même terrain, puisqu’il n’existe pas de système d’informatisation et de centralisation de ces attestations. Puis à nouveau à l’échelon de l’ACD. « Des faux ACD, on en voit tous les jours, regrettait Abdoulaye Diallo sur le plateau de NCI. Beaucoup de gens en fabriquent. »
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