
Le débat est ultrasensible, et il ne fait que commencer. A l’heure où le lien transatlantique est en crise, en raison de l’alignement des Etats-Unis sur la Russie dans le cadre de la guerre en Ukraine, le président français, Emmanuel Macron, a relancé, le 28 février, les discussions sur l’élargissement du parapluie nucléaire français à d’autres pays européens.
« La France a toujours reconnu une dimension européenne à ses intérêts vitaux », a déclaré M. Macron, en marge d’une visite d’Etat au Portugal. Des propos en réponse à une prise de position longtemps impensable sur ce sujet outre-Rhin émanant du probable futur chancelier allemand, Friedrich Merz. Le 21 février, ce fervent atlantiste avait, contre toute attente, fait part de son intention de « discuter avec les Britanniques et les Français pour savoir si leur protection nucléaire pourrait également s’étendre [aux Allemands] ».
« Vraie volonté de faire avancer le sujet »
Si l’ouverture allemande doit encore être confirmée, elle a poussé le président français à saisir la balle au bond, alors que cette idée, soutenue depuis longtemps à Paris, n’avait jusqu’à présent suscité que rejet et méfiance à Berlin. La posture française semble, depuis, trouver aussi un écho auprès d’autres pays auparavant rétifs : les Etats baltes, la Suède, la Roumanie ou encore la Pologne. « La question se pose de façon plus intense en raison de l’incertitude qui monte sur la garantie américaine et sur l’engagement américain au sein de l’OTAN », justifie une source diplomatique française.
A ce stade, les implications des propos de M. Macron sont toutefois délicates à mesurer. Le président, seul à même de décider du feu nucléaire, est resté flou sur les limites géographiques exactes de ces « intérêts vitaux », conformément aux impératifs d’ambiguïté de la dissuasion. « La principale avancée, c’est qu’on est sorti de la simple petite phrase. Il y a désormais une vraie volonté de faire avancer le sujet dans un contexte géopolitique inédit. Mais il faut ensuite que cela soit suivi d’effets », résume Héloïse Fayet, chercheuse à l’Institut français des relations internationales, rappelant que la posture française a fait l’objet de plusieurs déclarations similaires depuis 2020, restées sans suite.
Seule certitude pour l’instant, M. Macron ne s’est pas aventuré dans ce débat avec l’ambition que la dissuasion française puisse remplacer le parapluie nucléaire américain. « Ce n’est pas l’idée pour le moment, d’autant que les Etats-Unis n’ont pas montré de signaux de retrait en ce sens », insiste Mme Fayet. En clair, il n’est pas question que les missiles ASMPA (pour air-sol moyenne portée améliorée), qui peuvent être montés sur les Rafale français, soient disposés dans plusieurs pays d’Europe en complément ou en remplacement de la centaine de bombes B61 américaines déployées depuis le milieu des années 1950 en Italie, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Turquie.
Exercices militaires conjoints
Un tel déploiement aurait en outre un coût colossal et nécessiterait un calendrier décorrélé des urgences du moment. L’arsenal nucléaire français compte actuellement 290 ogives. « Si nous voulions passer à un stock de 400 têtes par exemple, le temps de les produire, nous ne les aurions pas avant une dizaine d’années. Ce n’est pas plus d’ogives qui vont nous rendre plus crédibles. Nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] peuvent déjà tirer des missiles M51 à plus de 8 000 kilomètres. L’enjeu, c’est la crédibilité politique », estime encore Mme Fayet, pour qui il y a « un nouveau modèle à inventer ».
Une des pistes pour crédibiliser cette extension des « intérêts vitaux » au territoire européen pourrait être la multiplication des exercices militaires conjoints entre les forces aériennes stratégiques (FAS) françaises et l’aviation d’autres pays, conformément à une idée avancée par le chef de l’Etat dans son discours sur la dissuasion, en 2020. Ce type d’entraînement n’a été, pour l’instant, réalisé qu’une seule fois, en 2022, avec un avion ravitailleur italien qui avait participé à un exercice annuel de simulation de frappe nucléaire baptisé « Poker ».
Les experts considèrent aussi qu’il serait possible de concrétiser l’engagement français à travers des traités bilatéraux. Une mise à jour de la déclaration dite « de Chequers » (au Royaume-Uni), qui avait scellé, en 1995, l’interconnexion des « intérêts vitaux » français et britanniques – les deux seules puissances nucléaires européennes – fait partie des scénarios possibles. Le traité de Nancy que la France et la Pologne doivent signer au printemps, pour matérialiser leur rapprochement, notamment en matière de défense, pourrait comporter une clause similaire.
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