Ce que signifie le ramadan pour les musulmans de France

Le ramadan débute ce 1er mars et durera trente jours consécutifs. Comment le pratiquent les musulmans de France et quel sens lui donnent-ils ?

The Conversation   – Le jeûne du ramadan – obligation religieuse pour tout musulman – constitue le quatrième des cinq piliers de l’islam. Il consiste à s’abstenir de manger, de boire, de fumer et d’avoir des rapports sexuels du lever au coucher du soleil, pendant 29 à 30 jours consécutifs, à une période spécifique de l’année.

Pour les filles, le ramadan commence lors de leurs premières menstruations et pour les garçons, dès lors qu’ils montrent des signes de puberté (pilosité, mue vocale). Certaines personnes sont cependant exemptées d’observer le jeûne du ramadan. C’est le cas les femmes enceintes et allaitantes ou bien en période de menstruation, des enfants prépubères, des personnes âgées, des voyageurs sur de longues distances et des personnes souffrant de maladies.

Malgré l’ampleur de la littérature portant sur l’aire culturelle arabo-musulmane, le rite et les rituels du ramadan demeurent peu étudiés. Les spécialistes de l’islam et des arabistes abondent en descriptions des aspects spirituels du jeûne, de ses vertus, de ses enseignements et de ses règles. Néanmoins, ces écrits s’attardent peu sur la relation entre les prescriptions religieuses du ramadan et sa pratique effective, et ils ne le considèrent pas en tant que phénomène social participant à la cohésion communautaire.

Dans le cadre d’une enquête (auprès d’étudiants, ouvriers, demandeurs d’emploi, cadres, chercheurs) menée dans une ville de l’ouest de la France durant les mois du ramadan de 2022, de 2023 et de 2024, nous avons voulu tester l’hypothèse suivante : le ramadan est une expérience d’ascétisme individuel, fait de privations consenties, mais aussi un rite annuel rendant possible l’identification, l’altérité et la compréhension d’autrui.

En France, les musulmans issus de l’immigration pratiquent le ramadan, parfois avec des aménagements. Les aspects religieux et sociaux sont présents, mais sont souvent adaptés au contexte de vie. Pour les personnes rencontrées dans le cadre de notre enquête, le ramadan constitue un moment crucial, car il renforce des facettes de l’identité atténuées le reste de l’année. Lors de cette période, la spiritualité, les traditions, le lien avec le pays d’origine (sous forme d’échanges en visio ou par téléphone avec la famille ou les amis, notamment après la rupture du jeûne) ou les tenues vestimentaires sont davantage pris en compte.

Une pratique différente entre les jeunes et les aînés

 

Chez les jeunes de moins de 25 ans, le ramadan est souvent vécu comme un défi personnel, mais aussi comme un moyen d’affirmer son appartenance à une collectivité. Cette pratique religieuse est devenue un moment spirituel. Les défis physiques que représente le jeûne constituent, pour les jeunes musulmans rencontrés, une occasion d’un vivre ensemble recouvré.

Sur le plan générationnel, ce mois se distingue par un rapport différencié à la tradition : les aînés insistent sur le respect strict (heures de jeûne, prières), tandis que les jeunes valorisent l’intention « niyya » et la solidarité envers les plus démunis tels que les SDF ou les sans-papiers.

Au-delà des observations menées lors de notre enquête, des études montrent que le temps du ramadan renforce les liens sociaux. En France, ce sont surtout les associations musulmanes qui assurent cette dimension : organisations de veillées de manifestations culturelles, distributions de repas aux personnes seules ou dans le besoin. Tout cela joue un rôle important dans l’affirmation de l’identité et participe souvent au maintien de l’attachement aux traditions du pays d’origine. Cette intensification des liens apporte un confort psychique et permet, pour les plus nostalgiques, d’adoucir le sentiment d’exil.

Les jeunes musulmans français, quand bien même ils ne sont pas particulièrement religieux le reste de l’année, observent massivement le jeûne. Ce moment se distingue par son adaptation au contexte laïc notamment à travers les iftars publics (ruptures du jeûne) organisés par les associations et les mosquées des quartiers. Ces initiatives sont souvent organisées en invitant des représentants d’autres religions.

Solidarité et empathie

 

Au cours de nos entretiens, la dimension morale est systématiquement soulignée. Comme le note Boumedien, tout se passe comme si jeûner permettait de ressentir ce que les autres ressentent, notamment en faisant preuve d’empathie à l’égard des pauvres qui souffrent de faim :

« Le ramadan, c’est un moment de compassion, un mois durant lequel je dois penser à tous ceux qui n’ont pas à manger, à tous ceux qui sont dans le besoin. C’est une épreuve qui me permet de savoir ce que signifie d’avoir faim. »

Les relations interpersonnelles et le respect revêtent aussi une grande importance pour les jeûneurs, puisque tout ce qui pourrait nuire à autrui doit être ainsi évité : faire du tort, mentir, médire sur quelqu’un, nourrir des pensées haineuses, etc.

À cet égard, Abdelkader souligne le sentiment de communauté et de solidarité que lui procure cet ascétisme collectif au nom du divin :

« J’ai un respect fou pour ceux qui tiennent le jeûne. C’est un truc qu’on vit tous ensemble. On se soutient, on se motive… Y’a pas de jugement. »

Ce rite dépasse la simple abstention alimentaire. Il permet aussi le détournement des préoccupations matérielles et des distractions quotidiennes. Cela crée un espace pour une connexion avec soi-même et une résonance avec les autres. En tant qu’expérience symbolique (au sens étymologique de « signe de reconnaissance »), ce mois agit à la manière d’une « colle sociale » favorisant la solidarité autour de valeurs communes de sacrifice et de compassion, renforçant la réflexion spirituelle.

C’est en ce sens qu’il faut comprendre les propos de Fatima :

« La période du ramadan revêt une importance capitale dans ma vie… tant sur le plan spirituel que personnel. C’est un mois consacré à la réflexion, à la discipline et à la connexion avec Dieu. Le jeûne durant ce mois sacré me permet de renforcer ma foi, de purifier mon esprit et de me rapprocher davantage de la communauté musulmane. »

Ces témoignages peuvent être interprétés à l’aune du concept de la « sacralité », élément clé dans la sociologie de la religion. Selon le philosophe Rudolf Otto, la sacralité est une expérience qui se situe au-delà de la rationalité puisqu’elle relève de l’incommensurable. C’est à partir de cette acception qu’il faut comprendre la période du ramadan, c’est-à-dire comme un temps voué à des pratiques spirituelles spécifiques.

Cette même enquêtée insiste plus loin dans l’entretien sur l’aspect communautaire et solidaire de ce mois sacré, d’où l’expression « On est tous dans le même bateau ». En un mot, les personnes interrogées disent que le jeûne lié au ramadan ne correspond pas à une simple privation temporaire, mais tout autant, et peut-être plus encore, à une expérience partagée.

Rite de passage à l’âge adulte

 

Cette pratique, bien plus qu’une simple abstention, engendre une expérience socialisante, axée sur le partage de la difficulté et de l’abstinence. Les personnes rencontrées ont partagé des récits illustrant comment le jeûne est une occasion unique où l’expérience collective de l’ascétisme transcende la sphère intime pour embrasser une dimension intersubjective. Le ramadan se révèle aussi comme un « rite de passage » significatif pour de nombreux individus – surtout les adolescents – marquant, par cette séquence, leur entrée dans l’âge adulte.

Ainsi, au-delà de la faim, de la soif, de la discipline et de la maîtrise de ses pulsions, le ramadan symbolise un rendez-vous annuel qui, pour beaucoup, est un mois de communion, de compassion envers les plus en difficulté et favorise la réflexion sur soi parmi les autres. Ce moment sacré contribue, certes, au respect des différences, mais peut-être davantage à la reconnaissance des ressemblances.

ATEN en STAPS, Laboratoire CETAPS à l’Université de Rouen, Le Mans Université

 

 

Sociologue, Le Mans Université

 

 

 

Source : The Conversation 

 

 

 

 

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