La liberté d’expression, nouveau totem de l’extrême droite

The Conversation Gagnée de haute lutte par les citoyens contre les pouvoirs de l’État et de l’Église au XVIIIe siècle, la liberté d’expression est désormais brandie comme un totem par les patrons des réseaux sociaux et par l’extrême droite.

Les Américains tiennent à leur « liberté d’expression », marqueur identitaire de leur histoire, qui se distingue de la liberté d’expression à la française.

Historiquement, la liberté d’expression aux États-Unis fut couplée avec la liberté de la presse, puisque c’est essentiellement par cette dernière que l’on pouvait s’exprimer publiquement. Le premier amendement stipulait dès 1791 :

« Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis. »

On comprend que la vocation initiale de cette défense de la liberté d’expression était de limiter le pouvoir des dirigeants et de protéger les individus, comme le veut la tradition libérale, soucieuse des libertés individuelles contre toute menace autoritaire venant de l’État.

Liberté d’expression sur les réseaux sociaux

 

Qu’en est-il aujourd’hui ? La liberté d’expression est à nouveau au centre du jeu et revendiquée, non pas par des citoyens muselés, mais bien par l’État lui-même, ou plutôt par celui qui est à sa tête et entend le gérer comme une entreprise lucrative : Donald Trump.

Parmi les plus fervents défenseurs du premier amendement, les libertariens et les milliardaires de la Silicon Valley propriétaires des nouveaux espaces publics qu’on appelle les réseaux sociaux, veulent avant tout décider des règles qui les encadrent.

Pour Mark Zuckerberg, la liberté d’expression s’incarne dans la levée des modérations dont les IA étaient chargées et la suppression des « fact-checking », identifiés comme de la censure ou comme un biais « woke » et bien-pensant.

À un autre niveau, il s’agirait donc de supprimer toute verticalité pour atteindre l’horizontalité consommée d’une démocratie idéale où l’État n’interviendrait plus du tout, sinon pour cautionner cette décentralisation de l’information et cette libération de la parole.

Selon le vice-président américain J.D. Vance, qui s’est exprimé à Munich, le 14 février 2025, l’Europe ne respecte pas la liberté d’expression. ThomasKienzle/AFP

 

C’est le sens des propos du vice-Président J.D. Vance, dénonçant l’État de droit et les réglementations européennes qui s’opposeraient à la liberté d’expression lors de la conférence de Munich sur la sécurité, le 14 février. Selon lui,

« la démocratie repose sur le principe sacré que la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les cordons sanitaires. Soit vous défendez ce principe, soit non ».

 

Ce discours a été salué par Jordan Bardella (« la France doit prendre exemple sur les USA »), Éric Ciotti (« un discours pour l’histoire »), ou encore Nicolas Dupont-Aignan. Après son discours, J.D. Vance a soutenu Alice Weidel, cheffe de l’AFD, parti d’extrême droite allemande qui vient d’obtenir plus de 20 % des votes, aux législatives du 23 février.

Triomphe de l’opinion

 

Mettons de côté l’instrumentalisation du principe de liberté d’expression au service de la propagande trumpienne et des Gafam, et prenons au sérieux la défense de ce principe tel qu’il est conçu outre-Atlantique, c’est-à-dire sans limite.

On constate alors un double glissement : moral d’abord, puisque l’invective, la violence verbale, le racisme, l’homophobie, n’auraient pas à être interdits « au nom de la liberté ». On peut se demander évidemment en quoi être homophobe ou raciste est l’expression d’une liberté de pensée, et si cela ne relève pas plutôt de la pulsion.

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Professeur agrégée de philosophie, Sciences Po Bordeaux

 

 

 

Source : The Conversation 

 

 

 

 

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