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Thaqafa – Le Mécanisme National de Prévention contre la Torture (MNPT) a lancé mardi 18 février 2025 un atelier interrégional de formation et de sensibilisation des responsables judiciaires et sécuritaires, en plus des médias et de la société civile sur les instruments juridiques nationaux et internationaux relatifs à la torture et autres pratiques cruelles, inhumaines ou dégradantes.
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Accroître la visibilité du MNPT et faire connaître ses missions auprès des responsables judiciaires et sécuritaires, ainsi qu’à la société civile et aux médias ! Tel est l’objectif visé à travers l’atelier qui a réuni le mardi 18 février 2025 à l’Académie diplomatique les acteurs concernés au niveau des trois Wilayas de Nouakchott et Dakhlet-Nouadhibou. Cela dans un contexte qui s’inscrit dans le cadre de la coopération entre le Mécanisme et le Fonds Spécial du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT).
Echanges protocolaires
Dans le discours d’ouverture qu’il a prononcé à l’occasion, Dr. Bekaye Ould Abdel Maleck, ancien ministre et président du MNPT a rappelé que la Mauritanie fait partie des premiers pays arabes et africains à avoir ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture en 2006 et le protocole facultatif qui lui est rattachée en 20012, d’où la mise en place du Mécanisme National de Prévention de la Torture (MNPT) conformément aux dispositions de l’article 17 du Protocole facultatif.
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Il a par la suite indiqué que l’objectif du présent atelier est d’accroître la visibilité du MNPT auprès des différents acteurs nationaux, notamment l’appareil judiciaire et sécuritaire, ainsi que la presse et la société civile, tout en leur faisant connaître son mécanisme de fonctionnement et les missions qui lui sont assignées. Cela, conformément aux engagements internationaux pris par l’Etat mauritanien dans le domaine de la lutte contre la torture.
Pour sa part, Teresa Albero, Représentante du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme en Mauritanie, avait au prélable, jugé à sa juste valeur les efforts déployés par le pays dans la protection et la promotion des droits de l’homme. Elle a ajouté que les Nations Unies sont obligées, à travers le fonds spécial du protocole facultatif de la Convention contre la torture, d’apporter tout son appui au MNPT afin qu’il puisse mener à bien sa mission dans l’éradication de la torture.
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Selon elle, la présence dans la salle d’officiers de la police judiciaire ainsi que des membres de la société civile et des journalistes, prouve l’engagement constant de la Mauritanie dans le renforcement et la protection des droits humains, ces acteurs cités représentant à ses yeux l’appareil judiciaire et les protecteurs de la loi.
Quid du Protocole Facultatif
Mme Teresa Alberto a parlé dans son discours des règles de protection des personnes privées de libertés, en évoquant quelques règles adoptées par le droit international sur la torture, comme la Règle Mandela aux dispositions générales, la Règle Bangkok (protection des enfants mineurs) et la Règle Beijing (protection des femmes prisonnières).
Convention, Protocole et prisonniers
Trois panels ont été organisés durant l’atelier avec le concours de plusieurs experts et praticiens du droit. Tous ont porté sur le cadre juridique national et international de prévention de la torture, avec des spécificités.
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Le premier panel, qui a porté sur la Convention, le Protocole facultatif et les prisonniers, a été animé par Sidi Mohamed Sidebe et Brahim Yacoub Cheikh SIdiya sur la convention contre la torture, suivi d’une intervention de l’ancien ministre de la Justice, Haimoud Ould Ramadhan sur le Protocole facultatif et enfin, la communication sur la protection des personnes privées de liberté par Mohamed Lemine Abdel Hamid. Le tout sous la modération de Mohamed El Ghaith Omar, magistrat.
Dans ce premier panel, quelques dispositions de la Convention sur la torture ont été passés en revue, telles que l’interdiction faite aux agents de pratiquer la torture sur un détenu même si l’ordre vient d’un supérieur hiérarchique. Il en va de même de l’interdiction d’extradition d’un individu dans un pays où il risque de subir la torture, de même que l’obligation faite aux pays partis de condamner et de criminaliser les actes de tortures commises par un agent, ainsi que l’obligation d’ouvrir des enquêtes sur tous les cas présumés de torture.
La Convention donne également le droit aux citoyens victimes de torture de porter plainte et aux autorités d’engager une procédure d’enquête sur cette base. Sont également prévu les droits à l’indemnisation pour tortures et l’interdiction de soutirer des aveux sous la torture, aveux qui ne seront pas retenus devant les autorités judiciaires et qui constitueraient en eux-mêmes des preuves de torture contre ses auteurs.
A rappeler que la Convention des Nations Unies sur la torture a été adoptée par l’Assemblée générale le 10 décembre 1984 et elle est entrée en vigueur le 26 juin 1987. Cette phase sera suivie par la création du Comité contre la torture (CAT) qui prévoit des examens périodiques des Etats partis à la convention. Le Protocole facultatif a été adopté en 2002. Tout Etat qui ratifie ce protocole facultatif doit ainsi mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture.
Ce Protocole facultatif a la même force de loi que la convention qu’il complète et simplifie dans sa mise en œuvre.
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Ainsi, le MNPT est un organe indépendant dont les membres sont protégés par une immunité dans l’exercice de leur fonction. L’indépendance du MNPT est partielle sur le plan administratif et totale sur le plan organique. Les rapports du MNPT sont tenus au secret tant que l’Etat n’en divulgue publiquement une partie.
Dans le cadre des prisons et des prisonniers, les trois règles qui régissent le droit international s’articule autour des règles générales de Mandela, les règles relatives aux enfants mineurs de Bangkok et celles relatives aux femmes prisonnières de Beijing.
A rappeler que la Convention des Nations Unies sur les prisonniers de 1955 révisée en 2011 est celle qui a donné naissance en 2015 à la Règle Mandela.
Loi nationale, MNPT, procédures pénales et emprisonnement
Le 2ème panel, modéré par Mohamed Chérif Bari, a été animé par le procureur Ahmed Abdallahi El Moustapha, le président du MNPT, Dr. Bekaye Abdel Maleck, le magistrat Mohamed Ghaith Omar et le magistrat Haroune Amar Ideighbi.
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Dans ce panel, le président du mécanisme a évoqué la triangulation dans laquelle se fonde la mission de son institution, dans cette relation tripartite entre le MNPT, le CAT et l’Etat mauritanien. Selon lui, le mécanisme n’est pas une force contre l’Exécutif, mais au contraire, il est son partenaire et son conseiller dans le domaine de ses compétences, à savoir la prévention de la torture dans tous les lieux de détention. C’est un rapport de dialogue et de concertation qui lie les deux parties :
Sur le plan national, la lutte contre la torture est régie par la Loi n° 033-2015, alors que le MNPT a été instituée selon la Loi n°034-2015.
Ainsi, le MNPT se définit comme un organe supérieur indépendant et spécialisé. Son existence est liée à la ratification par la Mauritanie du Protocole facultatif de la Convention des Nations Unies contre la torture. Il a mis en exergue que la Mauritanie, contrairement à beaucoup de pays, a mis la barre de son engagement très haut, en refusant d’intégrer son mécanisme dans une de ses institutions, préférant en faire un organe indépendant et hors de son emprise directe.
Le MNPT opère des visites inopinées dans les centres de détention sur l’ensemble du territoire national. Il s’entretient directement avec les détenus, les régisseurs et tous les acteurs responsables des prisons ainsi que les agents et les officiers de la police judiciaire.
La définition de la torture circonscrit ainsi son aire dans le cadre restreint des lieux de détention. Ainsi, les tortures pratiquées hors de ces lieux, par exemple lors d’une manifestation publique, ne rentrent pas dans la définition.
Des alternatives au monde carcéral
L’approche intellectuelle du magistrat Ideighbi a retenu l’attention par son originalité dans le contexte mauritanien, tirant ses réflexions de penseurs tels que Durkheim, César Picario ou encore Mark Hensel sur les fins et aboutissants de la pratique carcérale. Selon le magistrat, l’emprisonnement ne serait pas une simple punition individuelle, mais un coup porté à la société toute entière, préférant à l’incarcération traditionnelle telle que pratiquée à nos jours, d’autres formes de privations de liberté alternatives, comme le bannissement, l’assignation à résidence, l’opprobre public, les travaux d’utilité publique, entre autres.
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Selon lui, l’emprisonnement tue l’individu, entraîne la récidive et crée un certain « fonctionnariat » de la délinquance, sans apporter la solution recherchée, celle de l’intégration des hors-la-loi dans la société. D’où, dira-t-il, l’évolution de plusieurs Etats vers la transformation des lieux de détention en centres de rééducation et de professionnalisation.
Il a indiqué qu’en Mauritanie le monde carcéral est surpeuplé, selon le dernier recensement en milieu pénitencier, qui évoque le chiffre de 2.000 prisonniers, avec 700 de plus qu’en 2015.
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Il a par la suite, dénoncé la non application du contenu d’une ordonnance de 1970 toujours en vigueur sur le dossier du prisonnier. Celui-ci doit indiquer son nom prénom lieu de naissance, filiation, profession, état de santé, numéro de l’arrêt de condamnation ou du déferrement, motif de l’emprisonnement ou de la condamnation, état moral, etc. Ce dossier doit suivre le détenu dans les changements de son statut et l’accompagner dans ses transferts. « Est-ce que toutes ces procédures sont suivies ? » s’est-il demandé, expliquant que dans la pratique, les cross des jugements se perdent souvent sans laisser de traces.
Les participants ont suivi ensuite le dernier panel avant la clôture de l’atelier marqué par le discours du président du MNPT et celui de la Représentante du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies pour les droits de l’homme.
Cheikh Aïdara
Source : Thaqafa (Mauritanie)
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