Diplôme en poche, pas d’emploi : les chaînes invisibles des jeunes diplômés chômeurs

Depuis l’enfance, un message persistant façonne les mentalités des jeunes écoliers : « Travaille dur à l’école, décroche un diplôme et le succès suivre ». Cette croyance, inculquée par les familles et le système éducatif, pousse des milliers de jeunes à considérer l’accès à l’emploi comme une récompense automatique et non comme un combat à mener.

Cridem – Ils y ont cru. Les jeunes diplômés ont investi plusieurs années de leur vie dans l’effort, l’apprentissage et le dépassement de soi en étant convaincus que leur diplôme serait le sésame d’un avenir radieux.

Pourtant, à l’instant même où ils franchissent le seuil du monde professionnel, la réalité les rattrape : les portes de l’emploi sont fermées pour la plupart d’entre eux. Alors, lorsque la question fatidique résonne : « As-tu trouvé un emploi ? », la réponse est souvent un soupir résigné : « J’ai déposé plusieurs CV, j’attends… ». D’autres murmurent : « J’ai monté un projet, mais je n’ai pas encore trouvé de financement… ».

Ce scénario est devenu le quotidien des 10 à 20 millions de jeunes Africains y compris la Mauritanie qui arrivent chaque année sur le marché du travail où seuls 3 millions d’emplois formels sont créés.

Face à cette équation déséquilibrée, les ambitions s’érodent, l’espoir vacille et une génération entière se retrouve piégée dans un cycle infernal entre frustration et attentes interminables. Mais comment expliquer cette impasse ? Pourquoi ces jeunes, souvent brillants et qualifiés, peinent-ils à s’imposer sur le marché du travail ? Quelles sont ces chaînes invisibles qui les retiennent prisonniers ? Dans ce cadre, trois freins silencieux seront explorés pour tenter d’expliquer ce paradoxe, à savoir : l’illusion du diplôme, les normes sociales handicapantes et le manque de résilience.

1. L’illusion du diplôme

Des années d’efforts, des nuits blanches et d’autres nombreux sacrifices sont consentis pour décrocher enfin ce fameux diplôme tant convoité. Cependant, la désillusion est immédiate : ce précieux parchemin ne garantit plus systématiquement un emploi.

Depuis l’enfance, un message persistant façonne les mentalités des jeunes écoliers: « Travaille dur à l’école, décroche un diplôme et le succès suivre ». Cette croyance, inculquée par les familles et le système éducatif, pousse des milliers de jeunes à considérer l’accès à l’emploi comme une récompense automatique et non comme un combat à mener.

Résultat ? Une attente passive qui empêche d’exploration d’alternatives. Beaucoup refusent généralement toute opportunité hors de leur objectif professionnel lié à l’attente par rapport à la formation initiale. Ils sont persuadés qu’accepter un poste « inférieur » serait une humiliation sociale. Cette rigidité dans la perception du succès paralyse l’audace et étouffe l’initiative personnelle.

Nombreux sont ceux qui tombent dans le piège mental illustré par le raisonnement suivant : « J’ai un diplôme, donc je mérite un poste à la hauteur des investissements réalisés». Or, le marché de l’emploi a profondément évolué. Aujourd’hui, les connaissances théoriques (qualifications académiques) ne suffisent plus pour trouver un emploi. Les employeurs privilégient les critères plus déterminants suivants : le savoir-faire (compétence technique/expérience pratique) et le savoir-être (softs skills / compétence comportementale). Malheureusement, ces derniers critères sont rarement enseignés dans le cursus scolaire classique des systèmes éducatifs africains.

Dans un monde où les métiers évoluent à une vitesse fulgurante, se former en continu et diversifier ses domaines de compétences deviennent indispensables. Ceux qui restent figés sur leur seule formation de base se condamnent à voir les opportunités leur échapper.

2. Des normes sociales handicapantes

La solidarité, valeur essentielle en Afrique, censée être un filet de sécurité temporaire, se transforme en piège confortable. Trop de jeunes diplômés chômeurs sont logés et nourris sans contrepartie. Certains reçoivent même de l’argent de poche sans jamais apporter leur contribution, ni à leur famille, ni à la société. En conséquence, l’ambition s’éfrite, la responsabilité s’efface et l’attentisme s’installe.

Cette situation a pour conséquence l’apparition d’une jeunesse sous perfusion qui s’habitue à la dépendance au lieu de chercher des solutions innovantes à leurs problèmes. Les parents, parfois retraités, continuent de se sacrifier pour des adultes censés prendre le relais. Pire encore, ce sont souvent ces derniers qui s’inquiètent plus de l’avenir professionnel de leurs enfants. Ainsi, ils activent leurs réseaux de connaissance pour faciliter le recrutement, au lieu de pousser leurs enfants à se battre pour eux-mêmes.

Pendant ce temps, les jeunes qui parviennent à immigrer à l’étranger, notamment aux États-Unis, adoptent une posture radicalement opposée. Là-bas, ils n’ont aucun filet de sécurité. Donc, ils n’ont d’autre choix que de se battre. Ils acceptent des emplois bien en dessous de leur niveau de qualification (serveur, livreur, ouvrier…) et vivent dans des conditions précaires (colocations exiguës et privations financières). Pourquoi ? Parce qu’ils ont enfin compris une vérité essentielle : aucun emploi n’est indigne lorsqu’il permet de bâtir son avenir.

3. Le manque de résilience

Le marché du travail d’aujourd’hui est totalement différent de celui d’antan. Malgré cela, beaucoup de jeunes se cantonnent dans leurs anciennes habitudes de recherche d’emplois.

A titre d’exemple, postuler via un simple CV nécessite maintenant plus d’attention et de rigueur. Avec l’avènement de la digitalisation, les recruteurs utilisent désormais des logiciels d’intelligence artificielle (ATS: Applicant Tracking System) pour filtrer les candidatures de manière automatique. De ce fait, des milliers de CV sont éliminés avant même d’être lus par un humain.

Pourquoi ? Parce que les jeunes ne prennent pas le temps d’apprendre comment adapter leurs candidatures aux nouvelles réalités.

Et pourtant, le chômage leur offre un atout inestimable : du temps. Un temps qui pourrait être investi intelligemment dans l’autoformation gratuite en ligne à travers les MOOC, le développement de nouvelles compétences ou la participation à des projets valorisants. Mais trop souvent, ils le gaspillent en distractions futiles sans retour sur investissement.

Face aux difficultés d’embauche, l’entrepreneuriat pourrait être une alternative évidente. Pourtant, beaucoup de jeunes diplômés peinent à se débrouiller seuls ou à lancer leur propre entreprise, avançant généralement l’alibi du manque de financement comme un frein majeur. Mais cette excuse résiste-t-elle à l’analyse des causes racines ? L’exemple des jeunes immigrants quittant leur pays vers d’autres pays africains démontre l’inverse. Ces derniers, souvent sans capital à leur arrivée, acceptent des petits boulots précaires, accumulent des économies et en l’espace de quelques années, ils parviennent à monter des affaires prospères.

Au même moment, les jeunes autochtones, mieux implantés et souvent plus qualifiés, refusent ces mêmes opportunités par pur complexe social. Le problème n’est donc pas le manque d’opportunités mais la perception biaisée du travail. Tant que l’orgueil primera sur la nécessité d’agir, la dépendance et l’attentisme continueront d’entraver l’émancipation économique de nombreux jeunes diplômés.

Le succès dépend en grande partie que de la volonté de saisir chaque opportunité, aussi humble soit-elle. D’ailleurs, cette approche permet de construire une Success Story (bien vendue sur les réseaux sociaux) pouvant être un modèle d’inspiration pour les autres.

S’adapter, c’est intégrer les nouvelles règles du jeu ou être agile face au changement de circonstance. Ceux qui ne sont pas résilients se condamnent eux-mêmes à l’exclusion. Ce sont eux qui se lamentent et critiquent plus.

En somme, le chômage des jeunes diplômés n’est pas seulement un problème économique ou politique, c’est aussi un combat mental et culturel. Tant que les freins psychologiques et sociaux ne seront pas levés, l’inertie perdurera quels que soient les programmes mis en œuvre.

Mais alors, qui doit agir ? Les jeunes eux-mêmes ? L’État ? La société dans son ensemble ? La transformation des mentalités ne peut être laissée au hasard ou uniquement à la prise de conscience individuelle. L’État peut y jouer un rôle crucial en instaurant, par exemple, des unités comportementales ou incitation douce (Nudges préconisées par l’économie comportementale) pour stimuler les actions et orienter les choix vers des attitudes plus proactives.

 

 

Abdou Karim Gaye

Coach Exécutif

Formateur Certifié en Analyse Comportementale

 

 

 

Source : Gaye Karim Via Cridem – (Le 13 février 2025)

 

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