Abidjan, la nouvelle Jérusalem : reportage chez les convertis ivoiriens au judaïsme

Paris Match  – En Côte d’Ivoire, une petite communauté a choisi de se convertir au judaïsme. Un phénomène inédit.

Sur le chemin de terre, une voiture freine d’un coup. « C’est ici la synagogue ? » Un chauffeur Yango (le Uber ivoirien) nous apostrophe. Il raconte qu’il passait par là quand il a vu « des types avec leur kippa ». « J’ai demandé à ma cliente si c’étaient des juifs et elle m’a dit “oui”, alors je l’ai déposée, puis je suis revenu ! » Une lueur brille dans ses yeux quand rabbi Daniel l’invite à franchir la grille pour lui présenter le programme. Attiré par ce culte qui fait des émules, il espère participer à la prière mais la visite tourne court. « Pour entrer ici, il ne suffit pas d’être enthousiaste, souffle le rabbi. Il faut travailler. »

À l’intérieur, une trentaine de fidèles se tiennent debout, livre ouvert, le doigt glissant de droite à gauche au rythme des psalmodies. Regard concentré, ton monocorde, Firmin Ahoua, dit « Yehuda Firmin », lit la parasha du jour – une section de la Torah – en hébreu. Il s’interrompt pour raconter une blague juive qui fait rire l’auditoire puis reprend la prière en se balançant d’avant en arrière. On se croirait à Brooklyn, mais la scène se passe à Abidjan.

Ces dernières années, des dizaines de lieux de culte hébraïques ont vu le jour dans la métropole ivoirienne. Les fidèles ne sont pas juifs mais aspirent à le devenir. Leurs maîtres sont des rabbis, un titre honorifique. Sans diplôme, ils ne sont pas (encore) reconnus comme des rabbins. Les prières authentiques sont scandées en hébreu, avec une touche locale : elles sont souvent accompagnées par des djembés. « Chez nous, précise Firmin Ahoua, la musique c’est seulement pendant Hanoukka. »

Le mois dernier, s’est formée l’Union des communautés juives de Côte d’Ivoire

Pionnier de cette mouvance spirituelle inattendue, ce professeur agrégé des universités a enseigné la linguistique avant de se consacrer au judaïsme. Sur les murs de son établissement sont suspendus les portraits en noir et blanc de Philip Berg, le rabbin qui lui a permis d’étudier la kabbale, des textes en principe réservés aux érudits orthodoxes. En ouvrant cette discipline à un large public, Berg a connu un franc succès à Los Angeles. Demi Moore et Britney Spears fréquentaient son centre. Madonna était une grande fan. « Je l’ai rencontré en 1997 en Israël, puis il m’a fait venir aux États-Unis. » Alors, Firmin a une idée en tête : diffuser la culture judaïque en Afrique. Les chrétiens évangélistes, qui chantent les louanges des prophètes Moïse et ­Abraham, feront de bons fidèles. Certains célèbrent déjà les fêtes juives. Ils feront aussi de bons clients s’ils consomment kasher.

Un quart de siècle plus tard, Firmin vit encore « modestement » mais se réjouit du succès spirituel de son entreprise. « On assiste à des miracles ! On voit le bouleversement dans le cœur des gens. »

Converti en 2017, il a reçu le soutien essentiel de l’ONG israélienne Kulanu, qui aide les communautés émergentes dans le monde. Son Centre de la kabbale reçoit des hauts fonctionnaires comme des gens simples de toutes confessions et a formé la plupart des rabbis qui exercent ailleurs dans le pays. « Il y avait trois communautés avant 2020, il y en a une vingtaine aujourd’hui, c’est même devenu une mode ! »

Le mois dernier, s’est formée l’Union des communautés juives de Côte d’Ivoire. Leur président, Joachim « Avraham » Tété, est un ancien pasteur évangéliste. Nanti du titre de « rawé », un chef spirituel, il joue les animateurs de réseaux. L’objectif est très politique : obtenir la reconnaissance des autorités nationales, au même titre que les autres religions. Mais l’unification des ­communautés n’est pas acquise. Parmi les groupes qui ont accepté de rejoindre le mouvement, deux entendent rester, pour le moment, de simples observateurs.

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François de Labarre

envoyé spécial en Côte d’Ivoire

 

 

 

Source : Paris Match – (Le 01 février 2025)

 

 

 

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