Au Sénégal, village après village, la longue lutte contre l’excision

En 2024, des dizaines de villages ont officiellement abandonné la pratique de l’excision, interdite depuis 1999. Le résultat d’une sensibilisation acharnée menée par des militants.

Le Monde – Dans la petite assemblée réunie à la mairie de Dakatéli, dans le sud-est du Sénégal, à une poignée de kilomètres de la frontière avec la Guinée, tous ont la même réaction de gêne et de désapprobation. « Si demain l’excision était à nouveau pratiquée dans le village, nous irions à la gendarmerie », répond après un court silence Tamba Diallo, le chef de cette commune de 5 000 habitants.

A première vue, cette déclaration pourrait paraître anodine : depuis 1999, une loi incrimine la pratique de l’excision et de toutes les mutilations génitales féminines, la rendant passible de six mois à cinq ans de prison. Mais elle ne l’est pas. Malgré la législation en vigueur, 25 % des femmes sont toujours excisées au Sénégal, selon un rapport de l’Unicef de 2022. A l’extrême sud-est du pays, dans la région de Kédougou, où se situe la commune de Dakatéli, ce chiffre s’élève même à 91 %.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, il existe trois types d’excision. Le premier consiste en l’ablation partielle ou totale du clitoris. Pour le second, à l’ablation du clitoris, s’ajoute celle des petites et/ou des grandes lèvres. Enfin, l’infibulation, en plus des ablations, entraîne un rétrécissement de l’orifice vaginal par recouvrement, en repositionnant les petites et/ou les grandes lèvres. Ne reste alors qu’une minuscule ouverture pour l’urine et les menstruations.

Passage à l’âge adulte

« A Dakatéli, toutes les femmes sont mutilées », affirme Bineta Kanté Diallo. Cette quinquagénaire, qui porte un léger voile bleu ciel et dont le sourire est entravé par la perte de ses quatre incisives, sait de quoi elle parle. Jusqu’à ce que la pratique soit bannie, elle était l’exciseuse du village. Elle a perpétré la pratique séculaire, transmise par sa grand-mère, pendant dix ans. « C’est une responsabilité que l’on m’a confiée, un héritage, raconte-t-elle, sans regrets. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais été sanctionnée. »

Après quelques minutes de marche dans les allées sablonneuses de Dakatéli, Bineta Kanté Diallo entre dans sa case et réapparaît aussitôt de l’autre côté. C’est là, derrière une palissade en bambous à peine plus haute qu’elle, que « l’opération » se déroulait. Avec pour seul outil la lame d’un vieux couteau et quelques tissus pour éponger le sang. Selon les coutumes, les cérémonies avaient lieu après un baptême, entre la naissance et les 2 ou 3 ans de l’enfant, ou avant le passage à l’âge adulte, entre 14 et 15 ans.

Dans ces territoires de l’extrême sud-est du Sénégal, à la lisière des montagnes denses de Guinée, quatre communautés cohabitent : les Bassaris et les Bédiks (majoritairement chrétiens), ainsi que les Peuls et les Coniaguis (majoritairement musulmans). Tous pratiquent ou ont pratiqué l’excision au nom de traditions, dictées par des prêches religieux erronés – ni la Bible, ni le Coran n’en font mention – ou des normes sociales visant à préserver les filles de rapports sexuels avant le mariage.

« La même lame pour plusieurs femmes »

« C’est une pratique aux conséquences irrémédiables », affirme Youssouf Sène, infirmier-chef dans le village voisin de Kévoye. En poste depuis quatorze ans, il traite régulièrement des complications sur les jeunes femmes. Les cas d’infection chronique et d’hémorragie y sont fréquents, jusqu’à la mort. « L’excision est pratiquée avec des objets souillés sans stérilisation ni désinfectant, avec la même lame pour plusieurs femmes », explique le soignant, qui précise que les risques d’infection par le VIH sont décuplés chez les victimes d’excision. « L’accouchement est aussi plus compliqué et douloureux, une partie de l’appareil génital externe ayant été mutilé. »

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 (Kédougou, envoyée spéciale)

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

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