Après des revers au Moyen-Orient, l’organisation djihadiste a développé ses filiales sur le continent africain. Elle profite des frustrations locales pour recruter, mais se retrouve, comme dans le reste du monde, confrontée à sa grande rivale Al-Qaida. – Enquête –
« Nous avions vaincu l’[organisation] Etat islamique [EI] », a insisté Donald Trump, lors du discours prononcé, le 7 janvier, au lendemain de la certification de son élection par le Congrès des Etats-Unis. « Nous n’avions plus de guerre, nous avions vaincu l’[organisation] Etat islamique », a-t-il répété, soulignant l’un des principaux accomplissements de son premier mandat en matière de politique étrangère. « A présent, j’arrive dans un monde qui brûle avec la Russie et l’Ukraine, avec Israël. » Et la résurgence de la menace djihadiste, aurait-il pu ajouter.
L’éventualité d’une recrudescence de l’EI à la faveur de l’effondrement de la dynastie Al-Assad en Syrie, le 8 décembre 2024, inquiète. Aussitôt, l’armée américaine avait mené des dizaines de frappes aériennes destinées à « empêcher le groupe terroriste de mener des actions extérieures » et à « s’assurer que l’EI ne cherche pas à tirer profit de la situation pour se reconstituer dans le centre de la Syrie ». Trois semaines plus tard, la France procédait son tour à des frappes ciblées contre des sites de l’EI sur le sol syrien.
L’attentat, survenu dans la nuit du 31 décembre 2024 au 1er janvier à La Nouvelle-Orleans, en Louisiane, perpétré par un soldat américain se revendiquant de l’EI a rappelé la dangerosité bien réelle de l’organisation djihadiste et de son idéologie, cinq ans après la destruction du « califat », qu’elle avait instauré et tenu, de 2014 à 2019, en Irak et en Syrie.
Si le Proche-Orient concentre les inquiétudes des services de renseignement occidentaux, c’est pourtant en Afrique subsaharienne, loin des projecteurs, que l’EI fait preuve aujourd’hui de la plus forte activité. Près des deux tiers des 1 300 attaques qu’elle a revendiquées dans le monde, en 2024, ont eu lieu sur le continent africain, selon le décompte minutieux effectué par le Washington Institute for Near East Policy. Et leur nombre ne cesse d’augmenter, alors que les violences annuelles à l’échelle mondiale ont considérablement baissé depuis 2020.
« Propagande »
C’est désormais en Afrique que l’EI compte le plus de combattants – plus de 10 000, selon diverses estimations – répartis au sein de branches locales dans l’une ou l’autre des cinq « provinces » (wilayas) contrôlées ou revendiquées par l’organisation sur le continent.
La plus importante d’entre elles, la Wilaya Gharb Ifriqiya, abrite l’EI en Afrique de l’Ouest (EIAO), qui sévit dans les pays limitrophes du lac Tchad que sont le Nigeria, le Cameroun, le Niger et le Tchad. L’EI au Sahel est actif au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), la Wilaya Wasat Ifriqiya, est le sanctuaire de l’EI en Afrique centrale. Le Mozambique et la Somalie contiennent, chacun, une wilaya proclamée par l’EI sur leur territoire.
Secondaires au temps de l’apogée du « califat », ces branches africaines ont gagné en importance. « Elles sont primordiales pour l’organisation, en premier lieu pour des raisons de propagande, car elles permettent de montrer au reste du monde que l’organisation Etat islamique n’a pas disparu et qu’elle se maintient », assure Stig Jarle Hansen, chercheur invité à l’université Stanford. « Une résurgence de l’EI au Proche-Orient leur insufflerait une nouvelle dynamique », ajoute ce spécialiste des groupes djihadistes.
Le continent africain constitue d’ores et déjà le principal territoire d’extension du djihad. Le rapport présenté par le bureau de lutte contre le terrorisme des Nations unies au Conseil de sécurité, en août 2024, s’alarmait de ce que « les groupes terroristes [affiliés à l’EI] ont continué à s’étendre dans le Sahel et à infliger de lourdes pertes, compromettant ainsi la stabilité régionale. Si ces groupes étendent leur influence dans les Etats du littoral nord, un vaste territoire s’étendant du Mali au nord du Nigeria pourrait tomber sous leur contrôle effectif ».
Opportunisme
Comment évaluer les capacités opérationnelles et de projection de ces wilayas africaines ? Sont-elles des résidus épars du « califat » déchu, profitant localement du vide sécuritaire, ou forment-elles une organisation à part entière, centralisée et structurée ?
La proclamation par Abou Bakr Al-Baghdadi du « califat », à Mossoul (Irak), en juin 2014, suivie de gains territoriaux fulgurants en Irak, puis en Syrie, avait eu un effet de stimulation pour de multiples groupes islamistes armés. Dès l’automne 2014, des groupes djihadistes prêtent allégeance au « calife » et revendiquent des wilayas dans la péninsule égyptienne du Sinaï et sur le littoral oriental libyen. En 2015, des « provinces » arborant la bannière noire de l’EI sont instaurées au Nigeria et dans la région du Sahel. Le scénario est sensiblement le même partout : des groupes islamistes armés, ancrés de longue date dans des zones d’insécurité chronique, se rallient au « califat » surtout par opportunisme.
L’organisation Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) naît, en 2015, à la suite d’une scission d’Al-Mourabitoune, actif dans la région de Gao, au Mali, et dans le nord du Niger. Tandis que le chef d’Al-Mourabitoune, l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, souhaite agir sous le label d’Al-Qaida, l’un de ses lieutenants, qui contestait son leadership, Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, annonce son ralliement à l’EI.
A partir de 2018, les attaques meurtrières que mène l’EIGS dans la zone des trois frontières, entre Mali, Niger et Burkina Faso, accroissent l’aura du groupe dans la sphère djihadiste : attaque de la base militaire malienne d’Indelimane, en novembre 2019, puis des bases de l’armée nigérienne à Inates, en décembre 2019, et Chinégodar, en janvier 2020… Plusieurs dizaines de soldats sont tués et des arsenaux pillés.
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