M Le Mag – Entretien – Il y a un an, grièvement blessé et ayant perdu une grande partie de sa famille, le chef du bureau d’Al-Jazira à Gaza se réfugiait au Qatar. Depuis, il dénonce le drame vécu par son peuple. Le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier lui ouvre un espoir de retour.
C’est en spectateur, depuis Doha, au Qatar, où il s’est installé depuis son départ de Gaza début 2024, que le plus célèbre des journalistes palestiniens, Wael Al-Dahdouh, commente, le 19 janvier au matin, l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Sur la chaîne qatarie Al-Jazira, pour laquelle il travaille depuis vingt ans, il soupire : « Ce n’est pas facile pour moi d’observer ces moments de loin, de voir mes collègues au milieu de ces ruines. Mais on doit être capable de vivre pleinement ce moment, dans sa douceur et son amertume. » Douceur d’une trêve qui pourrait apporter un peu de répit aux habitants de l’enclave palestinienne après 471 jours de guerre, amertume d’avoir tant enduré.
Un mois plus tôt, le 14 décembre, dans une des très rares interviews qu’il a accepté de donner, via Zoom, Wael Al-Dahdouh, l’avant-bras droit toujours immobilisé par une attelle depuis que des tirs israéliens l’ont réduit en charpie en décembre 2023, confiait son attachement indéfectible à sa terre natale – « ce territoire fait partie de moi, expliquait-il, il me reflète et je le reflète. » Réfugié depuis un an au Qatar, ses cinq enfants inscrits à l’école ou à l’université, le père de famille de 54 ans tente de reprendre un semblant de vie normale. Mais toutes ses pensées restent tournées vers Gaza, où ses proches, frères et sœurs, voisins et amis, vivent toujours.
Loin de chez lui, le reporter a endossé ces derniers mois un autre rôle, « complémentaire » de ses années de reportage. Il est devenu le porte-voix de la tragédie de son peuple, l’incarnation de l’« humanité » de la cause palestinienne. Distingué par de multiples récompenses, comme le prix de la liberté de la presse du National Press Club, basé à Washington, décerné en novembre, et le prix du courage de Reporters sans frontières, début décembre, le quinquagénaire profite de chaque occasion pour éveiller les consciences sur l’« oppression inique », dit-il, que subissent les Palestiniens. « En tant que journalistes travaillant à Gaza, le silence du monde nous tue tout autant que les bombes, les missiles et les balles des drones », témoigne-t-il. Depuis le 7-Octobre, 145 journalistes sont morts dans la couverture du conflit, selon le dernier rapport établi par Reporters sans frontières.
La mort de ses proches, en direct
Wael Al-Dahdouh est devenu l’un des Gazaouis les plus célèbres de cette guerre. Dessiné par des street-artistes, son portrait, vêtu d’un casque et d’un gilet pare-balles siglés « press », orne jusqu’aux murs de plusieurs capitales européennes. Car, dès les premières heures du conflit, le journaliste est apparu nuit et jour en direct sur les écrans du monde arabe, majoritairement branchés sur la chaîne qatarie. Calme, didactique, le chef de bureau d’Al-Jazira y a décrit avec précision l’intervention israélienne, fort de sa connaissance de la géographie complexe de cette enclave dont il connaît les moindres détails et où il dispose d’un précieux réseau. Jusqu’à aujourd’hui, aucun journaliste étranger n’a été autorisé à travailler dans la bande de Gaza.
Il était en direct, le soir du 25 octobre 2023, lorsqu’il a appris qu’un missile avait explosé sur la maison de Nousseirat, dans le centre du territoire palestinien, où sa famille avait trouvé refuge. Moment de flottement à l’antenne. Sa femme, Amina, 44 ans, l’un de ses fils, Mahmoud, 15 ans, sa fille de 7 ans, Sham, et son petit-fils, Adam, 18 mois, ainsi que huit autres de ses proches ont été tués. Wael Al-Dahdouh est filmé en direct quand il découvre les corps sans vie des siens. « Vous vous vengez de nous à travers nos enfants », sont les premiers mots qu’il prononce, la voix brisée.
Source : M Le Mag – (Le 23 janvier 2025)
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