Baaba Maal et le Daande Leñol, 40 ans d’excellence

Le QuotidienEn cette année 2025, Baaba Maal et son orchestre le Daande Leñol, (la voix du Peuple) fêtent 40 ans de présence sur la scène musicale. Que de chemin parcouru ! A vrai dire, le natif de Podor chante depuis plus de 50 ans, si l’on remonte à ses débuts dans sa ville natale, à Ndioum, ville où il rejoignait son oncle maternel pendant les vacances, et au Lycée Charles de Gaulle de Saint-Louis, au gré des compétitions scolaires. C’est donc en artiste aux ambitions affichées qu’il débarquera plus tard à l’université de Dakar, après avoir réussi la prouesse de réussir à l’examen du Baccalau-réat en classe de première.

A Dakar, le nouveau bachelier s’inscrit en espagnol ; mais ayant déjà la musique dans son Adn et la tête ailleurs, il suit sa passion en intégrant l’Ecole nationale des Beaux-Arts et le Groupe culturel Lasly Fouta. Parallèlement, il enseigne au secondaire comme pigiste, pour accommoder son père qui ne voulait pas de carrière musicale pour son fils. Plus tard, il s’envole vers la France et s’inscrit au Conservatoire international de musique de la rue Alfred de Vigny de Paris, pour compléter sa formation musicale moderne.

Côté folklore, c’est dans le patrimoine traditionnel poular qu’il tirera l’essentiel de son répertoire, enrichi de ses apports personnels. Avec ses compagnons de la première heure, il sillonnera des contrées lointaines, parcourant plus de trois cents localités du Sénégal, de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire ; une véritable vie de bohémien, où le groupe se produisait sur des terrains vagues et logeait chez l’habitant, à la faveur de l’hospitalité africaine. C’est ainsi que Baaba Maal affinera sa maîtrise du légendaire Yéla auprès de grandes chanteuses griottes du Boundou, terroir de l’Est du Sénégal.

Surnommé Roi du Yéla, Baaba Maal est en fait l’héritier incontestable de tout le folklore musical poular dont le pékaane, spécialité des thiouballo (pêcheurs), le goumbala, hymne belliqueux des guerriers sebbé (pluriel de thieddo), le fantang, ode des peuls éleveurs, le kéroodé, chant totémique des chasseurs, le dilléré, poésie des tisserands, le lenggui, chant nocturne en l’honneur de la jeune mariée, le wango, (du verbe wangaadé, tournoyer), etc. A cela s’ajoutent ses propres compositions dont certaines remontent à ses pérégrinations en Europe, dans les foyers des émigrés. Ainsi en est-il de Daande Leñol, un texte puissant sur l’unité africaine, savamment écrit en poular, que l’on retrouve dans son manuscrit intitulé «Jimdi Baaba Maal»/les chansons de Baaba Maal, avec la mention «août 1983, dans le train Paris-Bruxelles».

Ses productions à cette époque étaient quelque peu protestataires, servant notamment à animer des «soirées anti capital», dans le sillage de l’après-mai 1968. Entre autres, les titres Bibbe leydi/Enfants du pays et Jam leeli/la paix se fait attendre, s’inscrivent dans ce contexte contestataire. Dans l’air du temps, il tiendra son premier concert à Rouen, dans un siège syndical, celui de la Confédération générale des Travailleurs, Cgt, un des principaux syndicats français. Normal, pour l’artiste qui fréquentait plutôt le milieu agité des intellectuels de la gauche radicale.

Mais comme la musique adoucit les mœurs, il arrondira progressivement les angles, parfois sous l’œil vigilant de sa mère, qui censurait certaines expressions de ses textes, qu’elle jugeait inappropriées. Le grand mérite de Baaba Maal, c’est d’avoir su adapter le folklore traditionnel en y greffant des sonorités modernes, et sa touche personnelle, pour éduquer, éveiller, rappeler l’histoire, combattre des idées reçues et des préjugés, passer des messages…
Si le folklore poular était un logiciel, c’est lui qui en serait le décodeur et le détenteur du mot de passe. Sans lui, l’essentiel de ce riche patrimoine culturel serait méconnu et tomberait dans l’oubli. Puisant à bonne source, il portera cet héritage en viatique pour aller à la conquête du monde.

Ainsi, après les épisodes de Yellitaaré et Wandaama, il crée le Daande Leñol en 1985 à Castors, proche banlieue de Dakar où il reçut un jour le célèbre chanteur de reggae Jimmy Cliff.

Parmi les historiques du groupe, figure naturellement Mansour Seck, l’ami et frère inséparable, arraché à notre affection en mai 2024. Il y avait également feu Mbassou Niang, Sidiky Kouyaté, Massamba Diop, Hilaire Chaby, Bada Seck, Pape Seck et El Hadj Niang, que rejoindront plus tard d’autres comme Mamma Gaye, Alioune Diouf et Mamy Kanouté.

Parmi ses fidèles compagnons, on ne saurait oublier les discrets Oumar Wade, son cousin et manager, et Amadou Fall, son confident et conseiller. Quand on cherche Baaba Maal, il vaut mieux appeler Oumar Wade ou Amadou Fall ! A ce jour, sauf ceux que le sort a emportés, Baaba Maal chemine avec ses compagnons de première heure ; une fidélité singulière dans le monde si versatile du show biz… Avec la naissance de Daande Leñol débute la grande aventure qui les mènera tambour battant aux quatre coins du monde. Mais l’éternel «nomade de la musique», ne coupera jamais avec ses racines. S’il voyage loin, il revient toujours à la source.

A l’aise sous les lambris dorés des scènes les plus sophistiquées, Baaba Maal l’est tout autant dans les décors les plus sommaires, parce que c’est dans nos terroirs du pays profond qu’il tire son inspiration. Ici, il vit sa musique comme sa musique vit en lui. «Quand je ferme les yeux, je vois tout, la nature, les saisons, tout me revient», dit-il ; d’où ses fréquents va-et-vient entre la ville et la campagne. C’est le même esprit qui l’anime en tenant chaque mois de décembre à Podor le festival international Les Blues du Fleuve ; un rendez-vous majeur de l’agenda culturel national qui lui permet de revenir vers ses racines, de conforter la coexistence pacifique et l’harmonie socio-culturelle entre les deux rives du fleuve Sénégal, et de promouvoir de jeunes talents de toutes les contrées du Sénégal et des pays voisins.

Porté par la voix mélodieuse et intemporelle de son mentor, voilà près d’un demi-siècle que Daande Leñol résonne à travers le monde, enjambant les frontières culturelles et géographiques, ancré dans le patrimoine poular et ouvert aux autres apports nationaux, africains et universels, comme un carrefour aux nombreuses confluences, une passerelle entre hier, aujourd’hui et demain.

En effet, si la musique de Baaba Maal s’inspire de ses origines, chaque Sénégalais, chaque Africain, chaque citoyen du monde peut aussi en revendiquer sa part, par la diversité de son groupe et de ses notes, en harmonie avec les pulsions de son temps. Voilà pourquoi il excelle également dans la musique de films à succès comme La Chute du Faucon noir. Plus récemment avec Black Panther, il a obtenu le prestigieux Oscar de la meilleure musique, entre autres distinctions qui jalonnent sa carrière.

Lorsqu’il entonne de sa voix puissante Sidy Gañsiri Demba Tooroodo, saaré ñiiwa waraama, dans la scène de Black Panther où le pouvoir passe d’un roi défunt à son héritier, Baaba Maal ne fait pas que chanter, il évoque par cette métaphore tirée de la culture poular l’impératif de la continuité du pouvoir, parce que le trône ne saurait rester vacant. L’enjeu du pouvoir se retrouve d’ailleurs dans le titre Samba dogata (Samba ne fuit pas), chanson relatant la bataille épique pour le trône entre deux princes de la dynastie Déniyanké, Samba Guéladio Diégui et Konko Boubou Moussa ; communément appelée Haré Thieenel Bilbassi ou la Bataille de la clairière de Bilbassi, près du village de Diowol, une des anciennes capitales de la dynastie Dényanké qui a régné sur le Fouta du 16e au 18e siècles.

Thiouballo (pêcheur) par ses origines familiales, Baaba Maal ne devrait pas chanter, selon les codes de la tradition. Tout au plus, il aurait dû se limiter au pékaane, genre musical de son clan, ou devenir un Jaaltaabé, devin et maître de l’eau, à l’image du Saltigué, en milieu sérère et lébou. Jaaltaabé, c’est le détenteur de pouvoirs ésotériques, que la communauté sollicite pour enrayer le mauvais sort et formuler des incantations mystiques pour que la pêche soit abondante.

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Oumar Demba BA
Ambassadeur Emérite du Sénégal, auteur de Baaba Maal, le message en chantant : réflexions sur l’homme et son œuvre (édition L’Harmattan, 2016

 

 

 

Source : Le Quotidien (Sénégal) – Le 18 janvier 2025

 

 

 

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