Chinguetti, la 7e ville sainte de l’Islam qui lutte contre l’oubli et l’ensablement

Agence Ecofin  Chinguetti s’éveille lentement sous un ciel limpide, au rythme de ses premiers visiteurs en ce mois de décembre. Cette cité millénaire, nichée au cœur du désert mauritanien, semble figée dans une autre époque. Pourtant, pour quelques jours, elle s’anime à l’occasion de la 13ᵉ édition du Festival des Villes Anciennes, désormais rebaptisé Festival des Cités du Patrimoine. Manuscrits anciens, artisanat local, conférences : l’événement se veut un hommage à une ville autrefois rayonnante 7ᵉ ville sainte de l’Islam, encore appelée “La Sorbonne du désert” par les francophiles — aujourd’hui menacée par l’ensablement et l’oubli.

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Ancienne mosquée engloutie par le sable du désert

 

Un carrefour d’histoire et de savoirs

Fondée au XIIIᵉ siècle, Chinguetti fut l’un des plus grands centres intellectuels et spirituels de l’Afrique saharienne. Elle succède à une première cité fondée en 777, nommée alors Aber, « le petit puits » en arabe. Très vite, celle que l’on surnomme aussi « La Mecque mauritanienne » se dote de douze mosquées monumentales, capables chacune d’accueillir 1000 fidèles. Bien plus tard, il y a plus d’une cinquantaine d’années, une troisième ville a émergé autour de l’ancien fort français, à un peu plus d’un kilomètre de l’antique cité. Aujourd’hui, les deux mondes s’observent, séparés par une étendue de sable, comme si le temps s’était figé entre eux. L’ancienne cité est presque engloutie par les dunes de sable des plateaux désertiques de l’Adrar.

Mais Chinguetti, c’est d’abord une mémoire. Une mémoire enfouie dans des manuscrits anciens, conservés dans une dizaine de bibliothèques familiales que le vent du désert menace d’engloutir. Ces textes, rédigés en arabe, évoquent la théologie, l’astronomie, la médecine. “Ses murs en terre sont depuis des siècles les gardiens de manuscrits, legs de générations d’étudiants et de pèlerins : traités de mathématiques, poèmes, écrits coraniques ou documents juridiques, rédigés sur du papier de Chine ou de la peau de gazelle. À l’image d’un traité de médecine d’Avicenne du XIᵉ siècle, conservé depuis des générations au cœur de la bibliothèque El Habott, riche de ses quelque 1400 manuscrits,” a décrit Audrey Azoulay, Directrice générale de l’UNESCO.

Ces textes racontent aussi l’âge d’or de cette cité caravanière au XIIIᵉ siècle, où pèlerins et marchands se croisaient avant de s’élancer vers La Mecque ou les marchés de l’Afrique du Nord. Carrefour du commerce transsaharien, Chinguetti connectait jadis le Maroc, l’Algérie, le Sénégal, le Mali et le Soudan. Les caravanes venaient avec du sel, des épices, de l’or. “Jusqu’à 30 000 chameaux pouvaient y transiter en une nuit”, raconte un sage de Ouadane, faisant de la ville une halte incontournable pour les caravanes. Mais cette prospérité, rongée par l’oubli et le désert, appartient désormais à une mémoire que le sable menace chaque jour d’effacer.

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Dans une bibliothèque de manuscrits anciens de Chinguetti

 

Un patrimoine fragile

Lors du festival, plusieurs bibliothèques familiales ont exceptionnellement ouvert leurs portes. Derrière des vitrines modestes, des ouvrages, certains datant du XIVᵉ siècle, sont exposés au public. « Ces manuscrits sont notre héritage, mais leur conservation devient de plus en plus difficile, » explique Idrissa, un cadre du ministère de la Culture. Faute de moyens, beaucoup d’entre eux se dégradent, victimes de l’humidité et du sable omniprésent. “Beaucoup de ces manuscrits ont été envoyés à Nouakchott pour y être conservés dans de meilleures conditions,” explique un chercheur du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) français.

L’Organisation du Monde Islamique pour l’Éducation, les Sciences et la Culture (ICESCO), le pendant arabe de l’UNESCO, a profité des festivités pour annoncer son intention de restaurer l’ancienne mosquée de Chinguetti, située dans le quartier historique, classé au patrimoine islamique et mondial depuis 1996.

Un vent de dématérialisation accompagne ces initiatives de sauvegarde. Le projet de numérisation des manuscrits, désormais actif aussi bien à Nouakchott qu’à Chinguetti, s’inscrit dans cette dynamique. Cette année, l’UNESCO a mis la main à la pâte en dotant les bibliothèques de matériel : boîtes de conservation sans acide, étagères adaptées, climatiseurs portables, mais aussi scanners, ordinateurs et disques durs … pour conserver cette mémoire menacée par le poids des années.

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Audrey Azoulay, DG de l’Unesco dans une bibliothèque de Chingetti

 

Le festival : une bouffée d’oxygène

Depuis 2011, le Festival des Villes Anciennes tente de redonner vie à ces cités sahariennes, de Chinguetti à Ouadane, en passant par Tichitt et Oualata. L’idée ? Faire revivre un patrimoine en péril tout en attirant touristes et investisseurs. À Chinguetti, cette année, l’effervescence est palpable. Entre les expositions de manuscrits, les concerts de musique traditionnelle, les courses de chevaux et les démonstrations d’artisanat, la ville retrouve, l’espace de quelques jours, un souffle de vitalité. Avec le soutien du ministère de la Culture, de nombreuses délégations, composées d’au moins 60 personnes chacune, sont venues des différentes régions de Mauritanie, en dehors des délégations officielles, pour assister aux festivités. Plus de 250 véhicules gouvernementaux ont été mobilisés pour l’occasion.

 

Un décor toujours fragile

Mais derrière la beauté des festivités, le décor reste toujours aussi fragile. Le désert avance, inexorablement. À chaque tempête de sable, un peu plus de la ville disparaît. Les maisons en pierre ocre, typique de l’architecture locale, s’effondrent, les ruelles de la nouvelle “ancienne ville” s’ensablent. Et la population, elle aussi, s’amenuise. Sur les quelques milliers d’habitants qu’elle comptait autrefois, Chinguetti n’en accueille plus qu’une poignée, principalement des familles d’artisans et quelques éleveurs nomades. “La jeunesse a déserté cette ville où la vie reste particulièrement rude,” confie un natif de Chinguetti, désormais partagé entre Nouakchott et Tunis. Un cadre du ministère de la Culture abonde : “Nous œuvrons à redynamiser la présence des jeunes dans une ville qui s’est vidée au fil des années, victime de l’exode rural et du manque d’opportunités locales.”

Pourtant, le gouvernement mauritanien veut croire en un renouveau. C’est d’ailleurs l’objectif de ce festival annuel. « Pour tenir cet engagement, le gouvernement a mobilisé plus de 16 milliards d’Ouguiya (Ndlr : 240 milliards de FCFA), alloués notamment au secteur de la santé, de l’éducation, de communication et au soutien aux mosquées, aux bibliothèques de manuscrits, aux artisans, aux jeunes, aux femmes de l’artisanat, aux insfrastructures routières et aux touristes », a détaillé Mohammed Ould Ghazouani, le président Mauritanien dans son discours inaugural.

 

La route Atar-Chinguetti, symbole d’espoir, le tourisme, lueur d’espoir

Avec la réhabilitation en cours de la route reliant Atar ville aéroportuaire à Chinguetti, l’accès à la cité historique est devenu plus aisé. Cette voie de plus de 80 kilomètres, financée entre autres par la Banque Islamique de Développement (BID), offre non seulement une meilleure connectivité mais ouvre aussi de nouvelles perspectives pour le tourisme. Les visiteurs, qu’ils viennent de Nouakchott ou d’Atar, échappent désormais aux longues heures passées sur des pistes sablonneuses.  Sur le trajet, ils peuvent s’immerger dans une symphonie visuelle où les grands canyons taillés par le temps, les chaînes de montagnes qui dominent l’Adrar, et les étendues désertiques, vastes et silencieuses, s’étirent à perte de vue. Des reliefs qui se succèdent, baignés par la lumière du désert, et préparent doucement le visiteur à l’arrivée ou la sortie de Chinguetti. Un paysage époustouflant qui échappe encore, ou timidement, à la valorisation touristique. Et le débat est unanime.

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« Le tourisme est la solution pour revitaliser la région, » avance un responsable touristique de l’Adrar. Mais le potentiel reste largement sous-exploité : en 2023, seulement 4000 touristes internationaux ont foulé le sol mauritanien, un chiffre qui paraît dérisoire comparé aux années fastes des décennies 1980-1990, où le désert mauritanien attirait des aventuriers par milliers.

Depuis 2011, quand la région a été classée en zone rouge par les autorités françaises à cause des risques sécuritaires, le secteur est tombé en déshérence. En 2017, le ministère français des Affaires étrangères avait reclassé certaines zones, notamment Chinguetti et Ouadane, en zone orange, une décision qui avait favorisé un regain d’intérêt pour le tourisme saharien en Mauritanie, avec la reprise des vols charters. La saison touristique 2018/2019 a vu l’arrivée de plusieurs milliers de visiteurs. Et si le pays n’a pas enregistré d’attaque terroriste sur son sol depuis le 20 décembre 2011, date à laquelle des hommes armés, présumés affiliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), ont enlevé un gendarme dans la localité d’Adel Bagrou, près de la frontière malienne, certaines régions du pays restent classées en zone rouge. Ce qui rend les voyageurs internationaux, majoritairement des français, toujours frileux.

La Mauritanie n’a jamais été une grande destination touristique comme ses voisins du Maghreb,” reconnaît un haut responsable mauritanien. “Mais le potentiel est là, il faut le révéler.” Sur le papier, des campagnes de promotion sont en cours pour tenter de redorer l’image du pays et attirer les voyageurs épris de désert et d’aventure.

Sur le terrain, l’accès reste un casse-tête. Chinguetti, isolée au cœur du Sahara, souffre de sa géographie et d’un réseau de transports jusque-là limité, même si des efforts ont été faits ces dernières années 12 milliards d’ouguiyas sont consacrés à la construction de la route Atar-Chinguetti.  Une lueur d’espoir toutefois : selon des sources bien informées, Air France réfléchirait à lancer une ligne directe vers l’aéroport d’Atar, ville militaire, bastion de la datte, où se trouve également les para commandos de l’armée mauritanienne. Un vol hebdomadaire serait en discussion, mais pour l’heure, aucun calendrier officiel n’a été annoncé.

En attendant, pour les habitants de Chinguetti, le festival est aussi une manière de se réapproprier leur histoire. Ici, tout le monde a un lien avec le passé glorieux de la ville, que ce soit à travers les manuscrits, l’artisanat, ou simplement les récits transmis de génération en génération.

Et si le sentiment qui demeure reste celui d’un lieu en suspension, à la fois ancré dans le passé et en quête d’un futur, à travers le Festival des cités du patrimoine, cette cité d’une Mauritanie trait d’union entre l’Afrique arabo-berbère et l’Afrique subsaharienne se bat pour un nouveau souffle. Mais pour combien de temps encore ?

Fiacre E. Kakpo

Source : Agence Ecofin – (Le 30 décembre 2024)

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