Tierno Monénembo, écrivain : « Depuis la dictature de Sekou Touré, la Guinée n’a jamais connu une telle vague de répression »

Dans un entretien au « Monde », le romancier guinéen critique l’absence d’un retour à l’ordre constitutionnel dans son pays et la gouvernance du président de la transition, Mamadi Doumbouya.

Le Monde – L’écrivain guinéen Tierno Monénembo, 77 ans, lauréat du prix Renaudot en 2008 pour Le Roi de Kahel (Seuil), a fui en 1969 le régime de Sekou Touré, premier président de Guinée, qui gouverna de façon sanguinaire durant ses vingt-cinq ans au pouvoir (1958-1984). Résidant actuellement à Conakry, l’auteur est depuis un observateur critique des différents régimes de son pays et ne masque pas son inquiétude face à la prolongation de la transition de Mamadi Doumbouya. Après sa prise de pouvoir par la force en 2021, ce dernier s’était engagé à organiser des élections avant la fin 2024.

La transition en Guinée devait, en théorie, s’achever mardi 31 décembre. Mais Mamadi Doumbouya va se maintenir au pouvoir au-delà des délais fixés. Pourquoi refuse-t-il d’organiser des élections ?

C’est le fait du prince. Mamadi Doumbouya n’a jamais tenu compte de la charte de la transition sur laquelle il a prêté serment et qui lui conférait un semblant de légitimité. En foulant aux pieds le chronogramme électoral établi en accord avec l’ensemble des forces vives du pays et avalisé par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, il ne fait pas que sacrifier la démocratie guinéenne, il fait aussi un sérieux pied de nez à la communauté internationale.

A ce jour, il n’y a eu ni recensement, ni fichier électoral, ni référendum constitutionnel. Cet homme n’a jamais songé à un retour à l’ordre constitutionnel. Ses belles promesses ne trompent plus personne.

Le 5 septembre 2021, lorsqu’il renverse Alpha Condé, le premier président de Guinée élu démocratiquement, vous aviez pourtant salué ce coup d’Etat…

Je le regrette ! A l’époque, des amis m’avaient traité de fou : « Comment quelqu’un comme toi peut-il soutenir un régime militaire ? » Je dois tout de même préciser que j’avais bien plus applaudi la chute du faux démocrate Alpha Condé et sa folie de vouloir briguer un troisième mandat que soutenu le putsch.

D’ailleurs, j’avais adressé une sérieuse mise en garde à Mamadi Doumbouya, dans le journal satirique Le Lynx : « Si comme Jerry Rawlings [ancien putschiste et président du Ghana de 1981 à 2001] il arrive à incarner le renouveau, alors il deviendra la plus belle figure de notre histoire moderne. Mais s’il a le malheur d’imiter ses horribles prédécesseurs, alors qu’il sache qu’il finira comme eux. Dans la boue ! » J’ai l’impression qu’il est déjà dans la boue et jusqu’au cou.

A la tribune des Nations unies, en septembre 2023, Mamadi Doumbouya avait proclamé l’échec de l’importation de la démocratie à l’occidentale en Afrique. Il estimait que les « vrais putschistes » étaient ceux qui « manipulent les textes de la Constitution afin de se maintenir éternellement au pouvoir ». Etes-vous d’accord avec lui ?

C’était le parfait discours de circonstance. Il s’agissait de faire admettre aux diplomates peu avisés que les tanks sont les mieux indiqués pour prémunir nos pays contre les élections truquées et les tripatouillages constitutionnels. C’est une vieille rengaine. Pour parodier l’écrivain nigérian Wole Soyinka, si les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie, ils ne le sont pas non plus pour la dictature.

Depuis l’arrivée au pouvoir de Mamadi Doumbouya, des médias ont été fermés, certains opposants ont été incarcérés, d’autres ont disparu ou été contraints à l’exil… Le niveau de répression est-il le même qu’à l’époque d’Alpha Condé ?

Il est nettement supérieur. Alpha Condé réprimait les manifestations de rue et persécutait ses opposants. Mais il n’a pas fermé les médias, n’a pas interdit le Front national pour la défense de la Constitution [mouvement de la société civile opposé à la junte] et il n’y avait pas non plus ces mystérieuses disparitions de personnalités que l’on observe aujourd’hui. Jamais depuis Sekou Touré la Guinée n’a connu une telle vague de répression.

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Propos recueillis par 

Source : Le Monde – (Le 30 décembre 2024)

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