Il est des positions qui, si elles venaient à passer par le filtre de la théorie critique, accréditeraient la thèse selon laquelle l’idéologie est le principal obstacle à la libération humaine.
Les discussions au sujet du statut des tirailleurs sénégalais recèlent une trop grande charge émotionnelle qui obstrue parfois le discernement. Or, nous nous accordons sur le fait que la puissance coloniale qu’ils servaient n’était pas venue en paix et ne régnait pas en paix. Elle n’était pas amie et s’est fait l’auteur de multiples crimes et abominations.
Des femmes et des hommes lui ont opposé une résistance farouche. Elles/ils sont tenus à juste titre pour héroïnes/héros de la résistance. Pendant que cette lutte contre l’occupant était menée, des hommes se tenaient aux côtés de l’envahisseur et lui apportaient un concours décisif.
Si Lat Dior, Ceerno Souleymane Baal, Mamadou Lamine Dramé, Samory Touré, Aline Sitoé Diatta, Ruben Um Nyobe, …sont célébrés comme des héros, est-il cohérent de considérer comme héros ceux qui les ont combattus ? Une horde de pillards envahissent un village. Pillages de maisons, viols, vols, travail forcé, esclavage, incendies volontaires…. Quelques bras solides du village se retrouvent plus tard dans les rangs des pillards pour aller sévir dans d’autres villages. À quel moment et par quel tour de magie deviennent-ils des héros ?
De 1857 aux indépendances, des troupes de « l’empire colonial » ont combattu sous drapeau français sur plusieurs théâtres d’opérations y compris contre des peuples qui se battaient pour leur indépendance (Afrique du Nord, Madagascar, Indochine…). Ils ont été décorés comme il se doit par la puissance qu’ils servaient. Ils ont également été trahies (comme à Thiaroye), méprisés, traités comme inférieurs à leurs frères d’armes « souchiens ».
On peut également s’accorder sur le fait qu’ils n’avaient pas toujours rejoint le front de gaieté de cœur, « qu’ils n’avaient pas le choix » (on va dire ça), qu’ils l’avaient fait de bonne foi croyant servir loyalement une puissance qui allait leur renvoyer l’ascenseur… Si on concédait ces circonstances atténuantes, on pourrait au mieux leur reconnaître le statut de victimes de la France. En cela, nous leur devons empathie et indulgence. Héros, ils le sont certainement pour la France.
Pour pouvoir en faire des héros pour l’Afrique, il va falloir dire en quoi et présenter les services qu’ils ont pu rendre aux peuples dont ils étaient issus. Les historiens peuvent aider à éclairer les discussions sur le sujet, sans passion et sans se laisser dominer par l’émotion.
Abdoulaye Diagana
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