Bachar Al-Assad, le réfugié de Poutine

Depuis la chute de son régime, le dictateur syrien a rejoint en Russie sa famille et des proches qui s’y trouvaient déjà. Pendant des années, le clan Al-Assad a transféré et investi une masse d’argent à Moscou.

Le Monde – Recevant à Damas, en avril 2014, l’ex-premier ministre Sergueï Stepachine, également ancien patron du FSB (les services russes de sécurité), Bachar Al-Assad avait un message à faire passer à Vladimir Poutine : « Je ne suis pas Ianoukovitch. » L’envoyé spécial du Kremlin avait été dépêché sur place en tant que président de la Société impériale orthodoxe palestinienne afin de prendre le pouls du dirigeant syrien, alors que la guerre civile avait déjà fait 150 000 morts et jeté 3 millions de Syriens sur les routes de l’exil.

« Assad est en pleine forme, il n’a pas de doute sur ce qu’il fait », déclarait-il, à l’issue de sa mission. « Je ne suis pas Ianoukovitch », lui avait répété son interlocuteur. Le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, venait, à peine deux mois plus tôt, en février 2014, de se réfugier à Moscou, après avoir dû fuir précipitamment son pays. Une perspective alors inimaginable pour Bachar Al-Assad.

Dix ans plus tard, il a pourtant suivi un chemin identique. Exfiltré lui aussi en catimini, il est arrivé en Russie poursuivi par les mêmes images : son palais, tout comme celui de l’Ukrainien, a été envahi et mis à sac, dans une atmosphère de sauve-qui-peut général des affidés. La similitude de leur débandade, dans deux pays aussi stratégiques pour Moscou, en est presque troublante. L’un comme l’autre ont rejoint leur refuge sans un mot de leur hôte. Vladimir Poutine n’aime pas les présidents déchus.

Le chef du Kremlin n’a plus jamais reçu, du moins officiellement, Viktor Ianoukovitch. Quant à Bachar Al-Assad, « il n’y a pas de réunion dans l’agenda officiel du président », s’est empressé de préciser, le 8 décembre, Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, au lendemain de la chute de cinquante-trois ans de dynastie Al-Assad, installée par le père, Hafez, en 1971. « Je lui parlerai certainement », a éludé Vladimir Poutine, dix jours plus tard, lors de sa conférence annuelle. Suprême humiliation : alors que le monde entier s’interroge encore sur le sort du dictateur syrien, muet après la prise de contrôle de Damas par les forces islamistes, le ministère des affaires étrangères russe prend sur lui d’annoncer sa « démission ».

 

Bachar Al-Assad « a décidé de quitter le poste présidentiel et a quitté le pays, donnant des instructions pour procéder au transfert du pouvoir de manière pacifique », affiche le ministère sur son compte officiel Telegram. L’ex-dirigeant syrien, au pouvoir depuis 2000, a été transporté « de la manière la plus sûre possible, déclare, de son côté, le 10 décembre, le vice-ministre des affaires étrangères russe, Sergueï Riabkov, sur la chaîne américaine NBC News. Il est en sécurité, et cela montre que la Russie agit comme il se doit dans une situation aussi extraordinaire ».

Colonies de vacances en Crimée

 

Extraordinaire ? Sa fuite depuis la base russe de Hmeimim – « honteuse et humiliante sous le couvert de la nuit », vitupérait, dès le lendemain, le zélé ambassadeur syrien à Moscou, Bachar Jaafari – a peut-être été « exigée » par Moscou, comme l’affirme Bachar Al-Assad, dans un message publié le 16 décembre sur les comptes Telegram et Facebook de l’ancienne présidence syrienne. Mais, en dépit de ses dires, le dictateur a pris ses précautions pour assurer ses arrières. Sa famille, tout comme une partie de sa fortune, a, pendant des années, pris le chemin de la Russie.

A l’été 2017, l’obligé de Moscou, qui doit sa survie politique à la tête de son pays à l’intervention militaire russe commencée en septembre 2015, envoie ainsi ses trois enfants en colonie de vacances en Crimée. Alors âgés respectivement de 16, 14 et 13 ans, Hafez, Zein et Karim séjournent plusieurs semaines à Artek, un ancien camp soviétique de pionniers rénové, dans la péninsule ukrainienne annexée. Leur véritable identité, restée secrète, se fond dans un groupe de petits Syriens envoyés sur place comme eux. Des mois plus tard, Bachar Al-Assad révélera lui-même leur présence. « Après ce voyage, ils ont commencé à mieux comprendre la Russie », dit-il à un groupe de parlementaires russes reçu à Damas en avril 2018.

A la demande de leur père, qui impose le russe dans les universités et les écoles syriennes, les trois enfants Assad ont déjà commencé à apprendre la langue de Pouchkine. Cet apprentissage n’est pas que de façade. L’aîné, Hafez, qui porte le même nom que son grand-père, obtient, le 1er juillet, à l’âge de 21 ans, une maîtrise en mathématiques pures, rédigée en russe, à l’université d’Etat de Moscou. Cinq mois avant la percée éclair des rebelles islamistes en Syrie, il pose avec sa mère, Asma Al-Assad, qui l’enlace devant l’imposant établissement stalinien au cœur de la capitale russe, diplôme à la main. Ses grands-parents maternels sont sur place. D’autres membres de la famille aussi.

La presse arabophone y voit le signe que la dynastie prépare de nouveau sa succession, avec la bénédiction de Vladimir Poutine. Le site Arabi21 s’en fait l’écho : « Le choix par Al-Assad d’une université russe pour que son fils parachève ses études montre que Moscou ne s’oppose pas aux arrangements “précoces et longs” préparés par le président du régime pour assurer la succession de son fils, étant donné que la Russie est le décideur en Syrie. »

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Source : Le Monde

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