Il y a 50 ans, la dislocation des Comores « île par île »

Afrique XXI – Histoire · Le 22 décembre 1974, les Comoriennes sont appelées à se prononcer sur leur avenir au sein ou hors de la République française. La quasi-totalité opte pour l’indépendance, mais à Mayotte c’est le « non » qui l’emporte. Contrairement aux promesses de l’exécutif, la France décide de prendre en compte les résultats île par île, et acte ainsi la dislocation de l’archipel.

Un cyclone d’une violence rare a touché Mayotte le 14 décembre 2024. Selon un bilan (très) provisoire établi par les autorités françaises le 18 décembre, Chido a fait 31 mortes et plus de 1 000 blessées. Les bidonvilles de l’île, constitués de maisons en tôle, ont été rasés dans leur totalité, et de nombreux bâtiments en dur (privés ou publics) ont vu leur toit arraché par les vents. Pendant plusieurs jours, les gens ont été privés d’eau et d’électricité. Cet épisode climatique dramatique intervient dans une période particulière, cinquante ans quasiment jour pour jour après un vote qui a abouti à la dislocation de l’archipel.

Le 22 décembre 1974, les habitants de l’archipel des Comores étaient appelés à décider de leur avenir : souhaitaient-ils devenir indépendants ou préféraient-ils demeurer au sein de la République française ? Comme Djibouti, les Comores n’avaient pas profité de la vague des indépendances qui avait touché les colonies africaines de la France en 1960. Ces quatre îles (Mayotte, Grande-Comore, Anjouan et Mohéli1), colonisées durant le XIXe siècle, étaient restées un territoire d’outremer. Mais la question de la décolonisation se posait depuis plusieurs années, et le scénario d’une indépendance était devenu inéluctable à la fin des années 1960. Sauf à Mayotte, où un mouvement profrançais avait émergé quelques années plus tôt.

Ce 22 décembre 1974, la question est de savoir si « les populations des Comores souhaitent choisir l’indépendance ou demeurer au sein de la République française ». Les résultats sont sans surprise : plus de 99 % des Grand-Comoriens, des Anjouanais et des Mohéliens votent pour l’indépendance2. À Mayotte, où la campagne a été marquée par de nombreux heurts entre les partisans de « Mayotte française » (les « soroda ») et les indépendantistes (les « serrer-la-main »), et où l’on a enregistré le plus faible taux de participation (77,9 %, contre 94 à 96 % dans les autres îles), une majorité (63,22 %, soit 8 783 voix) vote contre l’indépendance. Lors de ce scrutin, des actes de violence sont recensés de part et d’autre. Les « soroda » accusent les « serrer-la-main » d’avoir bourré les urnes, et inversement.

Quoi qu’il en soit, selon le décompte total, 94,56 % des Comoriens sont favorables à l’indépendance. Or ce n’est pas ce résultat global que la France va prendre en compte, mais les votes île par île, malgré la promesse de Valéry Giscard d’Estaing. Deux mois plus tôt, le 24 octobre, le président français avait déclaré à propos des Comoriens :

C’est une population qui est homogène, dans laquelle n’existe pratiquement pas de peuplement d’origine française, ou un peuplement très limité. Était-il raisonnable d’imaginer qu’une partie de l’archipel devienne indépendante et qu’une île, quelle que soit la sympathie qu’on puisse éprouver pour ses habitants, conserve un statut différent ? Je crois qu’il faut accepter les réalités contemporaines. Les Comores sont une unité, ont toujours été une unité. […] Nous n’avons pas, à l’occasion de l’indépendance d’un territoire, à proposer de briser l’unité de ce qui a toujours été l’unique archipel des Comores.

Mais, entre-temps, les parlementaires français ont changé le cours de l’Histoire. Pendant des mois, les députés et les sénateurs ont été intoxiqués par les séparatistes mahorais. Les Mahorais, affirment ces derniers, n’ont rien à voir avec les Comoriens, ils ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même religion, ne partagent pas la même histoire – un révisionnisme qui perdure. Avec leurs alliés de L’Action française, un mouvement royaliste d’inspiration maurrassienne, nostalgique d’un Empire qui s’est délité depuis la Seconde Guerre mondiale, ils affirment même que si la France « abandonne » les Mahorais, ils seront victimes d’un « génocide ».

L’intoxication de l’extrême droite

 

Le mouvement d’extrême droite multiplie les initiatives : conférences de presse, articles dans son journal, Aspects de la France, pétitions, lettres ouvertes… Et ce travail de sape finit par payer. Si l’opinion publique est relativement indifférente à leur combat, les parlementaires, eux, ne le sont pas. Lorsque la question de la consultation des Comoriens est abordée à l’Assemblée nationale le 17 octobre 1974, le rapporteur de la loi, Charles Magaud, reprend à son compte leur propagande :

Alors que les populations des autres îles sont en majorité musulmanes et que les Arabes y constituent le groupe ethnique le plus important, à Mayotte prédomine une population d’origine malgache et, pour une large part, catholique. Tous les éléments d’un particularisme local sont donc réunis dans cette île.

Autant de contre-vérités que dénonce le député des Comores, Mohamed Ahmed, qui évoque dans l’hémicycle son propre cas :

Moi-même, je suis en quelque sorte une synthèse de la population des Comores. Je suis anjouanais. J’ai une femme et des enfants à Mayotte : une partie de ma famille est de Mayotte ; j’ai une femme et des enfants à la Grande-Comore : une autre partie de ma famille est donc comorienne. C’est le cas de la plupart des Comoriens. On ne peut soutenir, dans ces conditions, que la population de telle île est arabe ou malgache, ou je ne sais quoi encore.

Malgré les réticences de Magaud, la commission chargée d’étudier le projet de loi en amont s’est prononcée en faveur de la consultation globale de l’archipel, et non île par île, essentiellement pour des raisons politiques. « Si la consultation était faite île par île, la situation, à coup sûr, serait bloquée, admet Charles Magaud. Il y aurait trois îles anti-françaises [sic] et une île française. Ce serait l’arrêt, pour de longues années, de la politique de coopération et d’amitié. »

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Rémi Carayol

Journaliste. Il a fondé deux journaux dans l’archipel des Comores (Kashkazi, Upanga) avant de rejoindre la rédaction de Jeune Afrique

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

 

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