Les sacrifices des journalistes qui ont défié Assad ne seront pas oubliés

L’Orient Le Jour – L’effondrement du régime syrien, le 8 décembre 2024, a marqué la fin de décennies d’oppression par l’une des dictatures les plus brutales. Alors que des analystes et des experts, légitimes ou autoproclamés, débattaient des implications géopolitiques de ce développement cataclysmique et de la nature des groupes armés qui ont renversé le régime, j’ai passé les trois derniers jours à penser à ceux qui ont porté leur plume comme une arme du changement pour finalement être tués par Hafez ou Bachar el-Assad, ou leurs mandataires et alliés. Samir Kassir, en premier lieu ; Gebran Tuéni, dont on marquait cette semaine l’anniversaire de l’assassinat ; Marie Colvin, témoin en première ligne. Et tant d’autres. La chute d’Assad, sans aucun doute, est une victoire, leur victoire.

Au cœur de cette victoire figure également un groupe extraordinaire de journalistes syriens dont le travail, malgré des obstacles inimaginables, a mis en lumière la souffrance d’un peuple déterminé à reconquérir sa liberté. Par leurs reportages, leurs enquêtes et leurs réflexions, ces journalistes ont fait de leur métier une force de résistance. Ils ont documenté les atrocités, révélé les injustices et veillé à ce que les récits de la lutte et du courage de la Syrie résonnent dans le monde entier. Leur quête de la vérité a joué un rôle essentiel dans la délégitimation de l’emprise des Assad sur le pouvoir et dans l’attention portée au sort de la Syrie.

Aujourd’hui, alors que la Syrie entame un nouveau chapitre, mes pensées vont à ces journalistes qui ont témoigné et tenu bon. Je suis fier de compter certains d’entre eux parmi mes amis. Je suis fier que leur engagement en faveur de la liberté leur ait valu, tout d’abord, le prix Samir Kassir pour la liberté de la presse, tel un prélude à la récompense la plus précieuse, la liberté de leur pays.

Le pouvoir des mots et des images

Les fondements autoritaires du régime Assad ont commencé à s’effondrer lorsque les Syriens ont osé réclamer la liberté en 2011. Il a répondu par une répression brutale, déclenchant un conflit qui a embrasé le pays pendant plus d’une décennie. Si le régime a tenté de noyer la révolution dans le sang et la peur, il a sous-estimé le pouvoir de la plume, des mots et des images.

Dans les ruines d’un quartier comme al-Hajar al-Assouad, où les bombes du régime ont réduit au silence des communautés entières, la « Lettre ouverte à Jackie Chan  d’Inas Hakky a rappelé au monde ce qui était vraiment perdu. Inas déplore les vies effacées et les rêves différés, exhortant les lecteurs à regarder au-delà des décombres et à voir l’humanité qui y prospérait autrefois. Ses mots ont immortalisé les histoires de communautés éradiquées, veillant à ce qu’elles ne soient pas oubliées.

Ali al-Ibrahim, dans son enquête « Forging Death: The Syrian Regime Conceals Its War Crimes », a détaillé les pratiques atroces au sein des geôles assadiennes. En analysant méticuleusement des photos et des témoignages de survivants, il a démontré la nature systématique de la brutalité du régime. Ces révélations sont un cri de ralliement, soulignant la nécessité de juger les auteurs de ces crimes. Les images d’aujourd’hui de la prison de Saydnaya révèlent enfin au monde ce que Ali a décrit avec tant de précision il y a des années.

Loin de se limiter à la torture, les horreurs carcérales du régime s’infiltrent dans la structure même de la gouvernance. Sultan Jalabi a mis à nu cette exploitation dans son enquête « Syria’s Detention Trade: Quantifying the Value of 10 Years of Detention ». Il a révélé comment le régime a transformé l’emprisonnement en système économique, profitant des familles désespérées d’obtenir des informations sur leurs proches. Cette enquête a non seulement révélé le vide moral au cœur du régime, mais elle fournit également des éléments de preuve essentiels dans la poursuite de la justice.

En temps de guerre, la première victime est souvent la vérité. Pourtant, des journalistes comme Maher Massoud se sont battus pour que l’histoire de la Syrie reste intacte. Dans son article « Terre de parole », Maher relate l’impact psychologique d’années de propagande et de répression, explorant la façon dont les Syriens ont tenté de se libérer de l’emprise narrative du régime. Son travail est venu rappeler que l’effondrement d’une dictature commence dans l’esprit des opprimés.

Tout aussi puissantes étaient les réflexions de Roger Asfar, dont l’essai « Capitaine Majed ou le père commandant » examinait l’influence omniprésente du régime sur l’enfance syrienne. Son témoignage permet à la fois de regarder le passé en face et de se libérer de la peur ancrée dans des années de régime autoritaire. Ses mots s’adressent à une génération qui se bat pour reconstruire son identité.

À travers le regard de Joud Hassan, nous voyons aussi comment l’emprise du régime baassiste s’est étendue jusqu’à la trame même de l’enfance syrienne. Dans « Militarized Youth », Joud dresse un tableau effrayant de générations élevées sous un système qui a transformé l’innocence en arme d’endoctrinement. Des manuels scolaires de style soviétique ornés du visage de Hafez

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Ayman MHANNA

Directeur exécutif de la Fondation Samir Kassir

 

 

 

Source : L’Orient Le Jour (Liban)

 

 

 

 

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