Mauritanie : la tragédie du 28 novembre 1990 n’est pas un accident

Encore ce maudit « 28 novembre », dira-t-on ! Nous n’en avons pas fini. Peut-être n’en finira-t-on jamais. En un sens, c’est un mal pour un bien. Il est de notre devoir de veiller, de rappeler, de commémorer nos morts, nos héros, nos martyrs. Le temps passe. De nouvelles générations arrivent qui gagneraient à être instruites de l’innommable. Il nous appartient de leur faire connaître ceux qui, au prix de leur vie, se sont battus pour nous, pour imposer la reconnaissance de notre citoyenneté, de nos droits. Et d’abord le premier d’entre eux : le droit à l’humanité.

Les suprémacistes qui nous gouvernent, ces obsédés frustrés de l’arabité, héritiers politiques et idéologiques de ceux qui ont souillé à jamais le « 28 novembre » une journée que nous avions cru nationale, doivent comprendre à tout jamais qu’ils n’ont pas et n’auront jamais le pouvoir de nous ôter notre citoyenneté. Nous combattons et combattrons leur entreprise, plus que jamais à l’œuvre, de déshumanisation, d’indigénisation, d’invisibilisation et d’effacement.

La nuit du 27 au 28 novembre 1990, cette nuit de cristal mauritanienne, ne fut ni un accident, ni un dérapage et encore moins un hasard. On ne trucide pas par hasard le même jour (et quel jour !), 28 membres de la même communauté, sélectionnés et pendus précisément sur cette base pour célébrer de façon macabre le trentième anniversaire de l’indépendance de leur pays. C’est un jalon du génocide. Cette entreprise démoniaque ne pouvait relever que d’un projet mûri de longue date dont elle est le point d’orgue. On aurait tort de conjuguer cette tragédie au passé. La certitude du génocide qui vient ne relève ni du catastrophisme ni d’une vue cauchemardesque de l’esprit. Elle est inscrite dans la réalité d’aujourd’hui et dans les menaces qu’elle couve.

Est-ce un hasard si les gouvernants actuels restent muets sur les crimes de ceux d’hier, s’ils promeuvent certains de leurs auteurs à des hauts niveaux de responsabilité, s’ils récusent l’idée même d’excuses officielles, chérissent la honteuse auto-amnistie des génocidaires ? Les pouvoirs changent mais l’idéologie raciste et suprémaciste s’incruste, s’enracine et se déploie sans même désormais avoir besoin de masque, certaine que rien ni personne ne lui résistera plus.

Est-ce un hasard si l’arabisation assimilationniste et négatrice des différences est devenue si brutale et plus que jamais totalitaire ? On est arabe ou rien. S’il fallait une preuve de cet impérialisme niveleur, l’absurde réforme du système éducation en est une. Hors de l’arabe, point de salut. L’arabe est assurément LA langue nationale et officielle, c’est-à-dire la seule qui compte. Que dire de la confiscation ethno-raciale des institutions, de l’administration, de l’armée, de l’économie la mise en concession de la « République » au profit exclusif d’une communauté et d’une « race » ?

Est-il anodin de « suggérer » à des populations de faire une demande administrative de retour à leur localité évacuée après une inondation comme si cela n’allait pas de soi ? Est-il normal de débaptiser des noms de localités et de substituer à leur appellation historique des nouveaux noms plaqués, connotés ethniquement et culturellement sans lien historique avec les lieux et les résidents de toujours ? Les déportations ne sont pas loin.

Rien que du connu ? direz-vous. Peut-être mais jamais de manière aussi systématique, aussi rampante et à une telle échelle. Jamais de manière aussi décomplexée. Sauf en 1990 justement. L’insulte à l’histoire nationale, à une mémoire partagée qu’a constitué le 28 novembre 1990 ne fut pas un accident de l’histoire. Tout indique qu’elle ne sera pas une exception. Les génocides à bas bruit en cours, culturel, biométrique, patrimonial, administratif sont annonciateurs. De quoi on en est là. Le pire est à notre porte.

Ciré Ba et Boubacar Diagana

Paris, le 28 novembre 2024

 

 

 

 

 

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