Trait d’union ou hub saharo-sahélien ? La Mauritanie contemporaine vue depuis ses routes

The Conversation   L’Afrique des routes est souvent imaginée comme un continent de pistes, ces chemins de terre et de sable, où le goudron n’arrivera peut-être jamais. Après l’indépendance des États africains, nombre d’entre elles ont été élargies en routes bitumées, conquérant les territoires nationaux jusqu’à atteindre les frontières. L’interconnexion des réseaux entre eux est une ultime étape. L’histoire des routes de la Mauritanie contemporaine est particulièrement révélatrice à cet égard.

Sillonner les routes mauritaniennes, bitumées entre l’indépendance (reconnue par l’ONU en 1961) et aujourd’hui, permet de circuler dans l’histoire politique et économique du pays. En 1958, Nouakchott, petite bourgade proche du littoral, est élue capitale. Il s’agit d’un renversement complet du centre de gravité du pays.

Hier tournée vers le fleuve et Saint-Louis du Sénégal, la Mauritanie a bâti son récit contemporain autour d’une ville nouvelle abritant désormais un million et demi d’habitants. Elle est devenue en un demi-siècle un carrefour de l’espace saharo-sahélien. Routes et grandes infrastructures mauritaniennes (ports et aéroports) ont un rôle essentiel dans ce basculement.

D’abord pensées au service de l’intégration nationale du territoire, elles sont devenues les supports du développement du business d’import-export structurant l’économie du pays, en lien avec l’arrivée au sommet de l’État d’un personnel politique lié aux milieux commerçants.

Nos recherches portent sur les questions de transports, de mobilités et de logistiques dans le pourtour méditerranéen et l’Afrique de l’Ouest, ainsi que sur les migrations et les infrastructures de transport en Afrique. Dans une récente étude, nous expliquons comment la Mauritanie est devenue comme un maillon des relations entre le Maghreb et le Sahel ouest-africain, grâce à ses infrastructures routières qui placent le pays en position d’interface entre ces deux parties du continent.

Les trois axes routiers

 

Aujourd’hui, depuis Nouakchott, les grandes routes du pays rayonnent selon trois orientations principales. Un axe littoral Nord-Sud, maillon des relations entre Maroc, Mauritanie et Sénégal. Quatre ans après l’indépendance, le tronçon Sud, reliant Nouakchott à Rosso sur le fleuve Sénégal, est le premier projet financé par la Banque mondiale dans le pays. Il marque à l’époque l’emprise de l’économie sénégalaise sur la Mauritanie.

À l’inverse, le tronçon Nord vers Nouadhibou demeure longtemps le chaînon manquant du réseau national, comme pour se protéger du voisin septentrional, le Maroc, qui a longtemps eu des visées sur le pays. En 2002, la réouverture permanente de la frontière Maroc – Mauritanie se confirme. En 2004, le bitumage s’achève. Cette route devient alors celle des importations massives de fruits et légumes marocains (et aussi de matériels de construction).

Ces flux participent, grâce à l’implantation de boutiques et de marchés dédiés à Nouakchott, à la diversification de l’alimentation des Mauritaniens, jusque-là principalement carnée et accompagnée de riz. La route du Nord, potentiel corridor transafricain, qui a pour têtes de pont les ports marocains de Tanger-Med et Casablanca, est empruntée quotidiennement par des hommes et des femmes voyageurs (étudiants, commerçants, ouvriers et manoeuvres, migrants), ainsi que par des véhicules et marchandises de tous types.

Le flux depuis le Maroc est dominant. Au retour, les cargaisons depuis le Sénégal ou la Mauritanie sont composées de poissons, vêtements, petits matériels électroniques, fruits tropicaux, ou de commandes pour les boutiques des populations sénégalaises installées au Maroc. Mais, compte-tenu du déséquilibre entre flux, les camions peuvent aussi remonter à vide.

L’autre axe majeur, nommé “route de l’Espoir”, traverse le sud du pays d’ouest en est, jusqu’aux portes du Mali. Sa construction, dès la fin des années 1960, permet d’abord à l’État mauritanien de stabiliser les populations nomades du Sud. L’axe bitumé Nouakchott – Néma (achevé en 1981) a ainsi entraîné le déplacement des populations vers les frontières méridionales où se trouvent les principaux espaces agricoles exploitables, en particulier le long de la vallée du fleuve Sénégal.

Cet axe souligne aussi le lien croissant de la Mauritanie avec l’économie malienne : à proximité du port autonome de Nouakchott, deux grands hangars, appartenant aux Entrepôts maliens en Mauritanie (Emamau), permettent de gérer les trafics de marchandises entre les deux pays, notamment les importations de produits alimentaires (blé, huile de palme, sucre) ou encore les exportations de coton malien.

Désenclavement du Mali

 

Avec les tensions actuelles au sein de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), consécutives à la condamnation du coup d’État à Bamako par l’institution régionale, la route de Gogui (commune malienne frontalière) fonctionne comme une alternative à l’axe Dakar – Bamako. La réactivation de ce corridor de désenclavement pour le Mali traduit la recherche permanente, de la part des grands groupes logistiques et industriels, de la meilleure option pour conserver la fluidité des échanges.

Cette route révèle ainsi l’importance prise par l’espace mauritanien dans les échanges régionaux : un hub potentiel à mi-chemin entre les territoires du golfe de Guinée et ceux du nord saharien. Un des ressorts de ces dynamiques transsahariennes en croissance tient au raccordement des réseaux d’infrastructures entre eux, à l’instar de ce qui peut être observé avec l’Algérie.

Il faut en effet évoquer la route vers Zouerate, puis Tindouf en Algérie. C’est d’abord la voie ferrée entre Nouadhibou et Zouerate, construite à partir de 1961 et destinée à évacuer le fer de la Kédia d’Idjil pour la Miferma (Mines de fer de Mauritanie), puis aujourd’hui la Société nationale industrielle et minière (Snim), qui structure cette partie Nord du pays. Ce rail a pleinement participé à concrétiser l’existence de la frontière internationale septentrionale. Mais un chaînon manquant de 800 km demeure, la piste Zouerate – Tindouf.

Echanges avec l’Algérie

Le projet de son bitumage via Bir Moghreïn, située à la pointe nord de la Mauritanie, pourrait concurrencer l’itinéraire littoral arrivant du Maroc et intensifier les échanges avec l’Algérie. Lors du ramadan de 2022 (avril), le conseil est passé dans tout Nouakchott : il fallait se rendre sur la friche de l’ancien aéroport pour trouver les dattes les moins chères de la capitale en provenance directe d’Algérie. Deux mois plus tard, quelques stands occupaient toujours le terrain ainsi que cinq semi-remorques arrivés d’Alger.

Les chauffeurs avaient emprunté la route jusqu’à la frontière algérienne, via Tindouf, puis la piste jusqu’à Zouerate, avant de stopper sur ce terrain vague, dit “marché algérien”. Le trajet avait duré 21 jours, interrompu de nombreuses fois par des incidents techniques (crevaisons notamment). Le convoi acheminait des dattes et une importante commande de céramique.

Ces camions vont et viennent avec leurs cuves remplies de carburant algérien, qui constitue le principal avantage comparatif du trajet – en 2022, 5 Ouguiya (0,13 USD) en moyenne le litre en Algérie, contre 43 (1,08 USD) à Nouakchott. Ce récit quasi anecdotique des échanges entre Mauritanie et Algérie autorise à imaginer la grande région à venir où le commerce à longue distance sera animé par la complémentarité économique et des filières intra-africaines.

Alors que les tensions politiques régionales demeurent vives, que Nouakchott souffre d’un déficit criant d’aménagement urbain (transports publics et équipements en tous genres), la capitale mauritanienne nous projette dans le monde des routes et des échanges internationaux sur le continent, dont l’avenir, certes prometteur, demeure encore incertain.

 

 

  • Géographe, chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS, laboratoire Prodig), Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

  • Géographe, Directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD)

 

 

 

 

Source : The Conversation 

 

 

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