Ici Radio Canada – Impossible de faire vingt pas dans les couloirs de la COP avec elle sans que quelqu’un l’arrête pour lui parler. Ne vous fiez pas à son petit gabarit, cette géographe de renom déplace de l’air. De sa voix assurée, chaque syllabe qu’elle émet dépose chez l’autre une graine d’indignation.
Tout chez elle impose le respect.
Issue du peuple peul mbororo, elle défend avec conviction cette nation autochtone africaine formée en bonne partie de bergers nomades et semi-nomades, dont les membres sont répartis entre le Tchad, le Niger, le Nigéria, le Cameroun et la République centrafricaine.
Si on la croise dans à peu près toutes les conférences internationales sur l’environnement, c’est en raison de ses fonctions officielles aux Nations unies, où elle préside l’Instance permanente de l’ONU sur les peuples autochtones. C’est une spécialiste des savoirs traditionnels autochtones sur l’écologie et sur l’adaptation aux changements climatiques.
Au fil des ans, elle est devenue une véritable étoile de la diplomatie climatique, et un modèle international pour les sans-voix du climat. Time Magazine l’a d’ailleurs incluse dans sa prestigieuse liste des 100 Voices
en 2023.
Hindou Oumarou Ibrahim avec le président du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva lors de la COP27 à Sharm el-Sheikh, en Égypte, en 2022.
Photo : afp via getty images / AHMAD GHARABLI
On peut dire qu’elle connaît bien son sujet. Le Tchad, ce pays partagé entre le désert au nord et la savane et la forêt tropicale au sud, subit de plein fouet les bouleversements du climat. Il y a un mois à peine, les eaux ont envahi la capitale, N’Djamena, qui a connu sa crue la plus importante en 60 ans. Les inondations ont fait près de 600 morts et deux millions de sinistrés. L’année dernière, c’était la sécheresse, et l’année d’avant, encore des inondations. Le Tchad est au cœur des extrêmes climatiques
, dit-elle.
Pour la population, les effets ont été catastrophiques : près d’un demi-million d’hectares de terres agricoles ont été détruits et 72 000 têtes de bétail ont été englouties. Pour un peuple de bergers comme les Peuls, c’est une tragédie.
D’ici ces prochains mois, on va avoir des maladies à cause des inondations, à cause des concentrations des gens dans des camps de réfugiés. Il y aura de l’insécurité alimentaire parce que les champs ont été lessivés, et bien sûr des tensions intercommunautaires. Tout ça, c’est dû aux effets des impacts du changement climatique parce qu’on n’a jamais vu ça. On n’a jamais eu autant d’inondations dans ces zones semi-arides
, explique-t-elle.
Pour elle et ses semblables, les changements climatiques ne sont donc pas qu’un documentaire à la télé ou qu’un paragraphe dans un rapport scientifique. En Afrique, les changements climatiques sont réels, ils sont violents et changent le quotidien du monde
, déplore-t-elle.
Pour les Peuls du Sahel, c’est leur survie qui est menacée. La brousse, c’est notre épicerie, dit Hindou Oumarou Ibrahim. On se nourrit des fruits et de la viande qu’elle contient, et on se soigne avec ses plantes.
Plus au nord, la désertification fait son chemin. Les déserts avancent de quatre kilomètres chaque année, c’est énorme. Le sable envahit les zones habitées et fait tomber les habitations.
Le continent africain est un de ceux où se manifestent le plus intensément les effets des changements climatiques. Les Africains sont donc les premières victimes, mais aussi ceux qui contribuent le moins au problème.
Mis ensemble, les 54 pays de l’Afrique sont responsables d’à peine 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À lui seul, le Tchad de Hindou Oumarou Ibrahim est officiellement responsable de… 0,008 % des émissions de la planète.
C’est pour que cette injustice climatique soit réparée
qu’elle mène le combat sur la scène internationale au nom des femmes et des Autochtones de la planète.
Hindou Oumarou Ibrahim à la tribune de l’ONU à New York lors de la signature de l’Accord de Paris, en avril 2016.
Photo : afp via getty images / JEWEL SAMAD
Finance climatique
À la COP29 de Bakou, la grande question est justement de savoir comment les pays du Nord vont bonifier leur soutien financier aux pays en développement pour les aider à se protéger contre les changements climatiques, à s’adapter à ces bouleversements et leur offrir les moyens de se développer sans les énergies fossiles.
Pour ce faire, elle demande la mise sur pied d’un fonds de 1300 milliards de dollars par année d’ici 2030. Une hausse substantielle par rapport au fonds actuel, dans lequel on verse 100 milliards de dollars par année jusqu’en 2025.
Ce n’est pas de la charité, précise Hindou Oumarou Ibrahim. C’est une réparation qu’on est en train de demander.
Source : Ici Radio Canada
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