Le Monde – Le véhicule tout-terrain des Nations unies cahote sur le chemin sablonneux qui longe la mer, dans le nord de Gaza. Louise Wateridge, porte-parole de l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, filme le paysage à travers le pare-brise : un interminable champ de ruines, sans la moindre vie humaine, comme un décor d’apocalypse. « Une société tout entière devenue un cimetière », a-t-elle écrit sur X, en postant sa vidéo le 7 novembre.
Son collègue Georgios Petropoulos, qui dirige le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) dans la bande de Gaza, a ressenti le même effroi quand il s’est rendu dans le nord de l’enclave, début novembre. « Il n’y a pas un seul bâtiment intact. Le niveau de destruction est total. Il n’y a pas de route, ce n’est plus que du sable. Je n’ai jamais rien vu de semblable », explique-t-il au téléphone. Israël interdit aux journalistes étrangers de pénétrer dans le territoire côtier.
Depuis le début de la guerre à Gaza, en octobre 2023, après l’attaque perpétrée par le Hamas dans le sud d’Israël, le quart nord du territoire a fait l’objet d’un traitement à part. L’armée israélienne en a ordonné l’évacuation dès le 13 octobre 2023, l’a bombardé très massivement et l’a privé d’aide humanitaire de manière presque continue. Le gouvernorat du Nord – qui comprend Beit Lahya à l’ouest, Beit Hanoun à l’est et Jabaliya, qui abritait le plus grand camp de réfugiés de l’enclave, un peu plus au sud – a aussi été le premier à être envahi par l’armée israélienne au début de son offensive terrestre, fin octobre 2023. L’attaque que subit cette zone depuis le 6 octobre 2024 est pourtant d’une brutalité inégalée.
Plusieurs centaines de tués en un mois
Aux premières heures du jour, les soldats israéliens ont ordonné aux Palestiniens encore présents dans cette région – une population estimée par les Nations unies à 175 000 personnes – de l’évacuer. « En moins de vingt-quatre heures, ces zones ont été assiégées et ils ont commencé à prendre d’assaut les écoles où les civils s’étaient réfugiés et à les vider », écrit Ayman Lubad au Monde depuis le centre de la bande de Gaza.
Son épouse, ses trois enfants et le reste de sa famille sont toujours à Beit Lahya. Arrêté en décembre 2023, puis détenu dans un centre de l’armée israélienne où de nombreux cas de tortures ont été documentés, ce chercheur du Centre palestinien pour les droits de l’homme, une ONG palestinienne, n’a pas pu revenir dans le nord de Gaza après sa libération. Le père de famille de 32 ans vit désormais accroché à son téléphone, les nerfs à vif.
Plusieurs centaines de personnes ont été tuées en un mois dans l’extrême nord de Gaza ; la défense civile palestinienne avance un total de 1 300 morts. Beaucoup de corps sont sous les décombres. Certains bombardements ont tué plusieurs dizaines de personnes d’un coup. Le 19 octobre, selon le ministère de la santé de Gaza, 87 personnes ont péri après que plusieurs bâtiments ont été ciblés à Beit Lahya. Le 29 octobre, la défense civile palestinienne a recensé 93 morts après une frappe sur un immeuble où vivait une famille entière, la famille Abou Nasr, toujours à Beit Lahya. Depuis le 6 octobre, selon l’ONU, quelque 100 000 Palestiniens ont été forcés de fuir le gouvernorat, ce qui implique qu’il ne resterait plus qu’environ 75 000 personnes dans le triangle Beit Hanoun-Beit Lahya-Jabaliya.
« Je ne vois pas d’autre terme pour décrire ce qui se passe que celui de “nettoyage ethnique”, affirme Ayman Lubad. L’objectif est de procéder à des arrestations de masse et de vider le Nord de sa population. » Juridiquement, le « terme exact en droit international humanitaire est celui de “transfert forcé” », explique Shai Parnes, porte-parole de l’ONG de défense des droits de l’homme israélienne B’Tselem, qui utilise aussi l’expression de « nettoyage ethnique », « plus familière » pour le grand public.
Le Nord, coupé du reste du monde
L’armée israélienne réfute cette qualification. Elle assure que son opération vise à débarrasser le nord de Gaza des combattants du Hamas, même si le colonel Yaniv Barot, à la tête de la brigade chargée de Beit Lahya, a convenu, face à un journaliste du quotidien israélien Haaretz que, cette fois-ci, ses hommes n’avaient trouvé aucun tunnel ou site de production d’armes dans la zone où ils opèrent, comme cela a pu être le cas lors d’offensives précédentes. Dans un e-mail envoyé au Monde, l’armée soutient avoir ordonné l’évacuation de la population, « pour protéger les civils non combattants ».
Source : Le Monde
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com