À Mberra en Mauritanie, survivre à l’enfer malien

Afrique XXI – Reportage · Depuis plus de dix ans, le camp de Mberra et les villages environnants accueillent des dizaines de milliers de réfugiés ayant fui la guerre au Mali. Les témoignages sur les violences commises par les groupes djihadistes, l’armée malienne et, depuis peu, les combattants de Wagner se multiplient et empêchent toute tentative de retour.

En juillet 2024, je me suis rendue à Mberra, le plus grand camp de réfugiés du Nord-Mali. Situé à 1 200 km de Nouakchott et à 60 km de la frontière malienne, il se trouve dans une zone rouge soumise à de multiples autorisations des autorités mauritaniennes et du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). La situation sécuritaire au Mali n’a fait qu’empirer depuis 2012 : aux attaques des djihadistes et aux méthodes de l’armée malienne à la triste réputation s’est ajoutée la terreur des mercenaires russes du groupe Wagner ces deux dernières années. Des milliers de civils ont fui vers la Mauritanie.

Au bout de plusieurs semaines, j’obtiens l’accord des autorités mauritaniennes pour entrer dans Mberra. J’espère retrouver des Touaregs de la région de Tombouctou que j’ai rencontrés il y a dix ans dans un autre camp de réfugiés situé au Niger. Mais je suis vite happée par le flot humain de ce camp immense : il y a plus de 100 000 réfugiés ici. De jour en jour, je vais comprendre que 100 000 autres déplacés sont disséminés dans des villages hôtes éparpillés le long de la frontière. Ce sont les derniers rescapés des exactions de l’armée malienne et de ses supplétifs russes qui ratissent le nord du Mali, pillent, brûlent, violent, décapitent hommes et bêtes…

« Surmonter nos traumatismes et oublier nos divergences »

 

Mberra est une ville qui a poussé sur une étendue semi-désertique à 15 km de la ville de Bassikounou – le QG des organisations internationales. Des carcasses de vaches jonchent la piste qui coupe à travers les maigres pâturages. Nous entrons dans le camp par un checkpoint militaire puis longeons de multitudes baraques en tôle peinte en rose et en bleu. Il y a des restaurants, des commerces, des terrains de foot, des écoles, des potagers et des enclos à bétail. La plupart des réfugiés sont des nomades qui ont fui les violences avec leur troupeau, mais il y a aussi des marabouts, des enseignants et une partie de l’élite intellectuelle.

Nous rencontrons Abdoulaziz Ag Mohamed, un Touareg de 45 ans, berger puis juriste, qui a fui Lere, dans la région de Tombouctou, en 2012, quand les djihadistes sont arrivés. « Cela fait exactement douze ans et six mois que je suis arrivé à Mberra. À l’époque il n’y avait rien, il a fallu créer des écoles, apprendre à vivre ensemble dans un espace extrêmement réduit, surmonter nos traumatismes et oublier nos divergences, car ici on trouve les ethnies des sept régions du nord du Mali », explique ce leader qui s’occupe d’une association des jeunes.

Immense territoire désertique de 800 000 km2, le nord du Mali – qu’on appelle aussi « Azawad » – est principalement peuplé de Touaregs, d’Arabes et de Peuls. Le fait que le camp de Mberra soit composé uniquement des communautés du Nord (soit environ 60 % de Touaregs, 25 % de Maures et 15 % de Peuls), questionne sur les causes de leur exil. Car si certains réfugiés ont fui les djihadistes, d’autres craignent encore plus les massacres de l’armée malienne. « C’est en 1990 qu’on a entendu pour la première fois le mot “kokadjé”, qui signifie “nettoyage” en bambara », m’explique Ali, dont le prénom a été changé (comme celui de la plupart des témoins cités dans cet article, par mesure de sécurité). Ce Touareg de la région de Tombouctou qui tient un petit commerce à Mberra rappelle que, dès 1962, Modibo Keïta, premier président du Mali, avait ordonné des tueries dans la région de Kidal, à 1 200 km au nord de Bamako.

Le tournant de 2012

 

L’insurrection touarègue de 1963 est matée dans le sang. Une nouvelle rébellion éclate trois décennies plus tard, en 1990. En représailles, l’armée malienne massacre encore. « À chaque fois qu’il y a une rébellion, l’armée se venge sur la population touarègue. Pourtant, le mouvement pour l’autonomie de l’Azawad est politique, pas ethnique », déplore Mohamed Alfaki Ag Mohamed, un enseignant également originaire de Lere qui a vécu ces événements. Des accords de paix mettent fin provisoirement au conflit.

Mais en 2012, les combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) prennent le contrôle des villes de Gao, Tombouctou et Kidal et proclament l’indépendance de la « République laïque de l’Azawad » le 6 avril. Cependant, ils sont très rapidement évincés par les djihadistes. Des milliers de civils fuient vers les pays limitrophes. Quand, début 2013, l’armée malienne revient dans le nord du pays à la suite de l’armée française déployée dans le cadre de l’opération Serval, elle cible à nouveau les civils.

En 2013, je séjourne dans deux camps de réfugiés au nord du Niger. Les paroles d’un notable religieux de la région de Tombouctou résument la situation d’injustice que vivent les réfugiés : « En 2012, la destruction des mausolées de Tombouctou par AQMI [Al-Qaïda au Maghreb islamique] a été reconnue comme un crime de guerre par le tribunal [pénal] international. Cependant, les crimes de l’armée malienne qui pille nos biens, empoisonne les puits et assassine nos familles n’ont jamais été jugés. »

Crimes de guerre

 

Dix ans plus tard, malgré la « guerre contre le terrorisme » menée par la France aux côtés de l’armée malienne, le pays est gangrené par les groupes djihadistes qui se sont démultipliés, étendant leur influence au Burkina Faso, au Niger et dans le nord des pays du golfe de Guinée. Des villages entiers tombent tour à tour sous la coupe des djihadistes, qui menacent de mort les habitants s’ils ne collaborent pas.

En 2021, le colonel Assimi Goïta prend le pouvoir par la force et chasse les contingents français et onusien. En décembre de la même année, le Mali réceptionne des drones de Turquie et des armes russes – hélicoptères radars, avions – et accueille plus de 1 500 combattants de Wagner.

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Alissa Descotes-Toyosaki

Reporter, documentariste, autrice. Prix de la meilleure enquête SPEM pour le grand reportage « Désert radioactif, l’uranium au Niger »

 

 

 

 

Source : Afrique XXI – (Le 08 novembre 2024)

 

 

 

 

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