
– A la veille de l’élection, défilait dans la banlieue de Phoenix (Arizona) une caravane de véhicules de tous calibres disparaissant sous des amoncellements de drapeaux à l’effigie de Donald Trump. Mot d’ordre du rassemblement : « Too big to rig » : « trop grand pour être truqué ». C’était la consigne de l’état-major aux partisans de l’ancien président dans tout le pays : voter en masse, de sorte que toute tentative de contestation des résultats par les démocrates soit étouffée dans l’œuf.
Entreprise réussie. Donald Trump a réuni sur son nom plus de suffrages que dans ses deux candidatures précédentes, lavant l’affront de la défaite de 2020. Mercredi, il a ajouté le Michigan à sa conquête de ce qui devait être le Blue Wall, le « mur bleu » défendant les positions de Kamala Harris (Michigan, Wisconsin, Pennsylvanie). Une victoire si large qu’il a réussi à remporter largement non seulement le vote des grands électeurs, en franchissant le seuil fatidique de 270 avec 295 voix, mais aussi le vote populaire, avec 4,7 millions de voix d’avance sur sa rivale. Aucun républicain n’avait gagné le vote populaire depuis George W. Bush en 2004.
L’examen des résultats par régions et catégories d’électeurs montre non pas un bouleversement ou un réalignement, mais une accentuation du rapport de force enregistré dans les dernières élections à travers le pays et dans quasiment toutes les catégories d’électeurs. Les Etats « rouges » (républicains) le sont devenus davantage. Les Etats en balance sont devenus rouges – si son avance dans le Nevada et l’Arizona se confirme, Trump est en passe de remporter les sept Etats-clés. Les Etats bleus sont devenus moins bleus, en raison notamment de la défection d’une partie du vote jeune et du vote latino.
Ces phénomènes ont permis à Donald Trump de remporter le vote populaire. Une analyse du site Politico montre aussi que la participation a été plus importante dans les comtés « rouges ». La tactique du « Too big to rig » a payé. Même dans les comtés « sûrs », les républicains se sont rendus massivement aux urnes.
Recul des démocrates dans leurs bastions
Dans l’ensemble, cependant, la participation a été inférieure à celle de 2020, année record du fait de la généralisation du vote par correspondance pendant la pandémie. Donald Trump avait recueilli quelque 74,2 millions de voix. Le 5 novembre, il a totalisé 72,6 millions, soit environ 2 millions de moins – mais 9 millions de plus qu’en 2016 (62 millions). Avec quelque 67,9 millions de votes, Kamala Harris recueille, elle, 13,4 millions de voix de moins que Joe Biden en 2020 (81,3 millions), une chute qui suscite nombre d’interrogations dans la base démocrate et sur sa mobilisation – même si certains incriminent les tactiques de « voter suppression » (mesures restrictives afin d’écarter des électeurs) dans les Etats républicains.
Problème de message ? De messagère ? Kamala Harris n’a pas tenu les promesses de ses prédécesseurs. Si Donald Trump a remporté la Pennsylvanie avec 51 % des voix, son meilleur score dans cet Etat depuis 2016, la démocrate y a engrangé moins de voix que Joe Biden en 2020. Le comté de Bucks, dans la banlieue blanche aisée de Philadelphie, l’un de ceux qui sont scrutés à la loupe par les analystes, a basculé du camp démocrate à celui du milliardaire. Et quand Kamala Harris l’a emporté, comme dans le comté d’Allegheny, la participation, réduite par rapport à 2020, ne lui a pas permis d’accumuler assez de voix pour rattraper son retard.
Dans d’autres bastions démocrates, comme certains comtés du Michigan, Kamala Harris n’a pas égalé Hillary Clinton en 2016, et ce n’est pas Jill Stein, la candidate des Verts, qui a cette fois fait de l’ombre : celle-ci n’a recueilli que 1 % des voix. Dans le comté de Wayne, autour de Detroit, elle a totalisé 6 % de voix de moins que Joe Biden en 2020. Même dans les places fortes démocrates, la vice-présidente n’égale pas le score de ses prédécesseurs. Elle recueille 56 % des voix dans l’Etat de New York, alors que Hillary Clinton et Joe Biden étaient parvenus respectivement à 60 % et 61 %. Performance amoindrie également en Californie, son Etat d’origine : 57 %, soit 7 points de moins que Joe Biden et 4 de moins que Hillary Clinton.
Selon l’enquête sortie des urnes conduite par Edison Research pour Reuters et le Washington Post, Trump a prévalu dans son électorat traditionnel : les électeurs blancs, toutes catégories confondues (à 57 %). Les hommes (55 % en moyenne, mais 60 % chez les hommes blancs), les 45-64 ans (54 %) et les non-diplômés (56 %). Kamala Harris l’a emporté chez les femmes (53 %), les jeunes de 18 à 29 ans (54 %), les Noirs (85 %), les Asiatiques (54 %) et les Hispaniques (52 %).
Erosion du « vote ethnique »
Rien qui ne signale un profond changement par rapport au profil de sa clientèle habituelle. Mais c’est à la marge de ces grands équilibres que Donald Trump a effectué une percée. Il a amélioré de 7 points son score de 2020 dans le vote des 18-29 ans, et creusé un écart de 14 points avec Kamala Harris dans la seule catégorie des hommes de cette tranche d’âge.
Donald Trump a bénéficié de l’érosion de ce que les Américains appellent le « vote ethnique », ou vote des minorités, qui s’est poursuivie pour les démocrates. Avec 46 % de l’ensemble du vote latino, en hausse de 14 points par rapport à 2020, Trump dépasse les meilleurs scores de Ronald Reagan et George W. Bush. Dans les comtés à population majoritairement hispanique, il a augmenté sa performance de 10 points. Parmi les hommes latinos, il a progressé de 19 points par rapport à 2020, avec 55 % des suffrages.
En Arizona, par exemple, où l’engagement des jeunes Latinos avait été déterminant dans la victoire sur le fil du rasoir de Joe Biden en 2020, le miracle ne s’est pas reproduit. Le comté de Yuma, limitrophe de la Californie, à forte population latino, a voté en bloc pour Trump, avec 30 points d’avance, un phénomène qui avait été noté au Texas en 2016 dans les communes frontalières. Les sondages ont montré que les Latinos, dont une majorité est de la deuxième ou troisième génération, ne sont pas rebutés par la xénophobie du républicain. Près d’un tiers d’entre eux adhèrent à sa proposition d’expulsions « massives » des sans-papiers dès le premier jour de son mandat.
Progrès de Trump chez les Noirs
Moins nets mais révélateurs, les progrès de Trump dans l’électorat afro-américain se confirment. En Géorgie, plusieurs comtés ruraux lui ont donné la majorité, dont celui de Baldwin, où 42 % de la population est noire, une zone que les démocrates n’avaient pas perdue depuis des décennies. Harris a gagné auprès de 77 % des hommes noirs au plan national, Trump a rallié les voix de 21 % d’entre eux, une augmentation de 2 points depuis 2020. La démocrate a remporté 91 % du vote des femmes noires, Trump y affiche son score le plus bas : 7 %, en baisse de 2 points.
En 2012, après la défaite de leur champion Mitt Romney, les républicains avaient procédé à ce qui est resté comme l’examen post mortem de leur attitude à l’égard des minorités, sous-représentées dans le Grand Old Party. Le rapport préconisait une ouverture à l’inclusion et à la diversité, censée préfigurer l’Amérique de la deuxième moitié du XXIe siècle.
Sans la moindre concession de langage, Donald Trump a réussi à éroder la domination démocrate dans l’électorat noir et latino. Cette fois, il va revenir aux démocrates de faire l’autopsie d’une désaffection qui vient de leur coûter la Maison Blanche.
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