Présidentielle américaine 2024 : Donald Trump, un revenant porté par son instinct politique et son désir de vengeance

Le milliardaire républicain réussit à 78 ans un retour aux affaires historique, en dépit de ses déboires judiciaires et de propositions à l’emporte-pièce.

Le Monde – On ne le saura sans doute jamais. Mais Donald Trump n’est-il pas le premier surpris de sa victoire incontestable, pour sa troisième candidature à l’élection présidentielle ? Paria en chef après l’assaut du 6 janvier 2021 lancé par ses partisans contre le Capitole, le magnat a réussi un retour improbable, semé d’embûches, entouré longtemps par une poignée de conseillers fidèles et son clan.

Début 2021, Donald Trump était un homme du passé. Il continuait à propager les mensonges sur les fraudes électorales, refusant de reconnaître sa défaite. Il pestait contre le retrait chaotique d’Afghanistan, dont il avait pourtant posé les bases par un accord avec les talibans. Il ne voyait aucun mérite dans les plans législatifs massifs passés par l’administration Biden au Congrès. Trump prit comme une victoire personnelle la décision de la Cour suprême de mettre fin au droit fédéral à l’avortement, en juin 2022. Son camp en paya le prix, pourtant, aux élections de mi-mandat, cinq mois plus tard. La vague rouge annoncée fut un clapotis, malgré la conquête de la Chambre des représentants. Plusieurs candidats extrémistes, adoubés par Donald Trump, mordirent la poussière. Sans attendre, l’ancien président annonça pourtant, dans la foulée, sa nouvelle candidature à l’élection présidentielle.

Elle fut entièrement configurée pour un nouvel affrontement, une revanche contre Joe Biden. Une tentative d’assassinat, dont il réchappa le 13 juillet, en Pennsylvanie, sembla lui assurer une forme d’invincibilité. Mais l’entrée en scène de Kamala Harris, quelques jours plus tard, provoqua un fort trou d’air pour Donald Trump, qui eut du mal à trouver les bonnes formules et les angles percutants face à cette nouvelle adversaire. La campagne Trump fut une nouvelle fois un one-man-show, souvent erratique, sans stratégie claire, même si son colistier, le sénateur J.D. Vance (Ohio), l’a secondé avec ardeur, sillonnant les Etats pivots.

En coulisses, l’équipe de campagne, dirigée par les vétérans Susie Wiles et Chris LaCivita, a contrôlé tout ce qu’elle pouvait, après avoir entièrement mis la main sur le Comité national républicain au début de l’année. Cette équipe a convaincu le magnat de promouvoir les procédures de vote anticipé, dans lesquelles les républicains accusaient un handicap déterminant. Elle a aussi cherché à prendre ses distances avec le document programmatique collectif, Project 2025, hébergé par le cercle de réflexion Heritage Foundation. Ce qui irrita le plus Donald Trump ne fut pas le contenu – incendiaire et réactionnaire – mais la suggestion qu’il mettrait en musique les idées des autres.

Saturation des ondes

 

Donald Trump a toujours eu foi en son propre instinct, et son parcours ne lui donne pas tort. Il a rappelé cette année son goût de la mise en scène et un sens aigu de la réactivité, pour demeurer toujours au centre de l’attention médiatique. Sa recette : ne jamais se justifier de rien, et toujours faire parler de soi, obligeant l’adversaire à réagir. Lorsque Joe Biden a paru qualifier les partisans de l’ancien président d’« ordures », à une semaine de l’élection, Donald Trump s’est emparé de cette gaffe. Le souvenir du ravageur « panier de personnes pitoyables », utilisé par Hillary Clinton en 2016, trouvait là un écho parfait.

Le lendemain, le candidat républicain apparaissait vêtu d’une chasuble fluo trop serrée, à bord d’un camion poubelle. Une semaine plus tôt, il était en tablier au guichet d’un McDonald’s en Pennyslvanie. Evitant de se prononcer sur une hausse du salaire minimum, Donald Trump préférait contester, une nouvelle fois, le travail effectué dans cette même chaîne de restauration, comme étudiante, par Kamala Harris.

Tous ces moments ont suscité un engouement des médias et sur les réseaux sociaux. L’un des plus anciens conseillers du candidat, Jason Miller, a résumé cette stratégie dans Politico : « On voulait s’assurer que ce serait entièrement du Trump, tout le temps. » Une saturation des ondes, destinée à désensibiliser la capacité d’indignation chez de nombreux Américains. Puisque chaque jour charrie son scandale, cet état devient la nouvelle normalité. Pourtant, tant d’épisodes au cours de cette campagne concernant Donald Trump auraient condamné une candidature traditionnelle, dans l’ère antérieure. Mais le tribalisme, nourri par une désinformation systématisée, a pris le dessus sur l’éthique et les valeurs communes, comme l’attachement à la Constitution et à l’Etat de droit, pour des millions d’Américains.

Cette fois, Donald Trump a étendu son champ d’action bien au-delà des médias et des plateformes traditionnelles. L’équipe de campagne a privilégié les podcasts – qui sont, pour des millions d’Américains, la principale source d’information et de distraction, dans une confusion des genres typique des années 2020. Selon Jason Miller, c’est le plus jeune fils de Donald Trump, Barron, 18 ans, qui aurait suggéré certaines vedettes du genre. « Chacune de ses recommandations [a généré] des audiences absolument en or qui ont explosé Internet », s’est réjoui le conseiller du président.

Dérision et bluff

 

La politique est, plus que jamais, une affaire familiale pour Donald Trump. Sa fille, Ivanka, ex-conseillère à la Maison Blanche, s’est certes mise en retrait, avec son mari Jared Kushner. Mais Don Jr, le fils aîné, a pris un poids inédit. Hyperactif dans la sphère MAGA (Make America Great Again), c’est lui aussi qui a milité pour le choix de son ami J.D. Vance comme colistier. La femme de son frère, Eric, Lara Trump, a été désignée à la tête du Comité national républicain, pour consolider l’absorption du parti par la famille.

Vu de loin, Donald Trump a aussi gardé le goût de la provocation, de la transgression, des propositions à l’emporte-pièce. La guerre en Ukraine ? Elle sera réglée en vingt-quatre heures. L’inflation ? Elle disparaîtra. Le prix de l’énergie ? Divisé par deux en un an. Les baisses d’impôt ? Comme s’il en pleuvait. Tout cela enveloppé dans un langage politique d’une pauvreté assumée, gras, qui permet d’établir une connexion avec ce peuple MAGA, sensible à ses diatribes victimaires et anti-élites. Là où les électeurs démocrates ne voient que propos haineux, les MAGA louent son authenticité unique.

Mais l’enseignement essentiel de cette longue campagne n’est pas dans la permanence d’une méthode. Elle est au contraire dans une rupture personnelle et politique. Donald Trump n’est plus celui qui, avant les élections de 2016, était prêt à payer des femmes pour acheter leur silence et préserver sa réputation. Il n’est plus le vainqueur terrassant Hillary Clinton, surpris par sa propre fortune, entrant à la Maison Blanche sans équipe solide, sans préparation, sans connaissance fine des arcanes fédéraux. C’est un homme de 78 ans, mû par son désir de vengeance, prêt à punir ceux qui l’ont tourmenté – magistrats, policiers, généraux, élus, journalistes – et à donner des coups de sabre dans l’Etat fédéral.

Parmi les obsessions de longue date de Donald Trump figure Abraham Lincoln, le seizième président des Etats-Unis, auquel il s’est souvent comparé, à son propre avantage. Mais, depuis 2023, le milliardaire se mesure plus volontiers au parrain de la mafia de Chicago, Al Capone, en soulignant qu’il l’a dépassé en nombre d’inculpations. Cette référence dit bien, en creux, comment Donald Trump est parvenu à renverser à son profit, par la dérision et le bluff, les enquêtes judiciaires qui le visent.

Diviseur en chef

 

Au lieu de se terrer, il les a affrontées en bombant le torse. En 2023, il a subi quatre vagues d’inculpations, dans deux dossiers fédéraux et deux locaux (à New York et en Géorgie). Il a été accusé de détention illégale de centaines de documents classifiés, de conspiration pour renverser le résultat des élections en 2020, d’interférence dans la validation de ce résultat. Fin mai 2024, il a été le premier président américain condamné au pénal, pour trente-quatre faits de falsification de documents comptables. Mais l’habileté de ses avocats et l’aide des juges conservateurs de la Cour suprême lui ont permis d’arriver au scrutin présidentiel sans avoir à répondre de ses actes les plus graves.

Donald Trump n’a eu de cesse de dénoncer une conspiration politico-judiciaire contre lui pour le faire tomber, mais c’est en réalité un grave dysfonctionnement de l’Etat de droit américain qui lui profite. Près de quatre ans après le 6 janvier, les électeurs se sont prononcés mardi et au cours des semaines précédentes sans connaître sa responsabilité dans une tentative de coup d’Etat. Ces tourments judiciaires expliquent en grande partie la fuite en avant radicale dans laquelle s’est engagé Donald Trump depuis sa défaite face à Joe Biden, en 2020.

 

Il est devenu le diviseur en chef, le rongeur du corps démocratique, le semeur de doute, de mensonges, de confusion, celui qui traite ses adversaires de « vermine », de « cinglés », de « voyous ». Ces outrances n’en sont pas. Elles forment une stratégie, une préparation de sa base à la disqualification de toute parole divergente, de toute opinion contraire. Il n’y a plus qu’un affrontement entre « nous » – comprendre, les vrais patriotes, attachés à l’identité nationale, à l’ordre et aux valeurs traditionnelles, chrétiennes de préférence – et « eux », soit la gauche radicale délurée et laxiste, qui œuvrerait à la fin du rêve américain en le dissolvant dans le wokisme et l’immigration.

« Eux », c’est « l’ennemi de l’intérieur », cette expression terrible reprise par Donald Trump pendant la campagne. Il a promis d’être « un dictateur dès le premier jour », et pour ce jour seulement, en cas de victoire. L’Amérique va découvrir, à compter de janvier 2025, dans quelle pénombre ou chaos va la conduire sa tentation autoritaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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