The Conversation – La société française entretient une forme d’insécurité linguistique peu propice aux apprentissages. La peur de la faute empêche l’écriture plus qu’elle ne la stimule.
Dans l’actualité revient régulièrement l’idée d’une « chute dramatique » du niveau des élèves ou des étudiants pour ce qui concerne la maitrise de la langue française. Et lorsqu’ils ne parlent pas de chute, certains pointent des résultats « catastrophiques » aux évaluations nationales, comme récemment dans le cadre des évaluations de CM2.
Cette dénonciation s’accompagne généralement de propos désobligeants à l’encontre des élèves. Or les effets néfastes de cette stigmatisation sont rarement évoqués, que ce soit en contexte scolaire ou en dehors.
L’insécurité linguistique
L’enseignement de la langue française, et plus particulièrement de son orthographe, est pavé de croyances et de certitudes. Comme le résume la professeure en sciences du langage Catherine Brissaud, spécialiste de ce domaine, on croit à tort qu’il est facile d’apprendre l’orthographe, que la dictée est efficace et que cet apprentissage est réglé (ou devrait l’être) à la fin de l’école élémentaire.
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Rien de tout ceci ne se vérifie de manière scientifique. L’orthographe française est particulièrement complexe, les dictées traditionnelles sont des outils de mesure du niveau et non d’apprentissage, et il faut une dizaine d’années pour espérer avoir un niveau satisfaisant.
En plus de ces mythes tenaces, l’école et plus largement l’éducation présentent l’écrit correct comme étant la seule forme légitime, tout en dévalorisant les autres formes langagières. Cela crée une insécurité linguistique engendrant la peur de la faute. L’insécurité linguistique est une notion centrale en sociolinguistique. Elle vient du sociolinguistique américain William Labov. En 1993, le linguiste Michel Francard en proposait la définition suivante :
« L’insécurité linguistique est la prise de conscience, par les locuteurs, d’une distance entre leur idiolecte (ou leur sociolecte) et une langue qu’ils reconnaissent comme légitime parce qu’elle est celle de la classe dominante. »
Étant donné la complexité de notre orthographe, cela débouche sur la crainte permanente d’être pris en défaut. Et comme le résume le spécialiste de la didactique Jean-Pierre Sautot :
« La société française entretient son propre malaise en maintenant en place une écriture partiellement irrationnelle et en revendiquant des pratiques pédagogiques qui renforcent le mythe. »
Ainsi, nous sommes prisonniers de croyances qui n’aident nullement à l’apprentissage.
La peur de la faute
Le sentiment d’insécurité n’est pas propice aux apprentissages et peut engendrer une autocensure. Par exemple, les élèves français ont un taux de non-réponses parmi les plus élevés dans les enquêtes PISA. Ils préfèrent ne pas répondre plutôt que risquer de commettre une erreur dès lors qu’il faut rédiger.
La dictée traditionnelle occupe une place de choix dans la mise en place de ce système décourageant. Avec sa notation mettant l’accent sur les échecs plutôt que les réussites, elle est contreproductive. Bien des élèves sont trop vite convaincus que l’orthographe (ou pire la langue française) n’est pas faite pour eux. Aucune autre discipline ne place autant la faute en son centre. Le système éducatif français est régulièrement considéré comme un système où les élèves se trouvent inhibés par la peur de la faute et s’abstiennent, de ce fait, de produire une réflexion écrite ou orale. Seul celui qui n’écrit pas est certain de ne pas faire de fautes d’orthographe.
Maitre de conférences en linguistique française, Université de Lorraine
Source : The Conversation
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