Mamadou, Sénégalais, « traumatisé par la violence » de son expulsion d’Algérie

Info MigrantsParti du Sénégal, Mamadou comptait atteindre un jour l’Europe en passant par l’Algérie. Mais arrêté quelques jours après son départ par les gardes-frontières du pays, il n’a jamais pu atteindre son but. En Algérie, le jeune homme a vécu un « calvaire ». Témoignage.

Mamadou, 25 ans, voulait atteindre l’Europe pour une vie meilleure. Né au Sénégal de parents guinéens, il n’a pas même tenté d’obtenir un visa pour la France ou l’Espagne, découragé par les nombreux échecs de ses proches à obtenir le précieux sésame. Il a donc quitté son pays en novembre 2023, aux côtés de douze compagnons de voyage, direction le nord du continent pour prendre la mer Méditerranée.

Mais quelques jours après le départ, le chauffeur « trahit » le petit groupe et l’abandonne dans le désert, quelque part au nord de la Mauritanie. Commence alors un long calvaire pour Mamadou et ses camarades.

« On a marché toute la nuit dans le désert, c’est moi qui guidais tout le monde avec l’étoile polaire. À cet endroit dans le désert, il y a du relief. Ça monte et ça descend tout le temps, c’est épuisant. Et puis on a vite été à court d’eau et de nourriture : on n’avait que quelques bouteilles d’eau et des bonbons.

On a fini par arriver à la frontière algérienne. Au début, les gardes étaient accueillants. Ils nous ont donné des pommes. Et puis ils ont commencé à nous fouiller, et ont pris nos téléphones. Ils ont dit : ‘c’est confisqué !’ Certains de mes amis ont été frappés. Moi aussi. Les gardes nous disaient qu’on était des bandits, qu’on cachait des choses. Ils hurlaient.

Tindouf, en Algérie, se situe à près de 1 500 km de Tamanrasset. Crédit : Google Maps
Tindouf, en Algérie, se situe à près de 1 500 km de Tamanrasset. Crédit : Google Maps

 

Et puis l’un d’eux m’a obligé à me déshabiller. J’ai même dû enlever mes sous-vêtements, devant tout le monde. C’était la première fois que je me retrouvais nu devant d’autres personnes.

« Interdit de sortir »

 

Après ça, les agents nous ont amenés à Tindouf. Je m’en souviens, c’était un vendredi. On est resté bloqué là, dans différents locaux des autorités. On devait laver leurs voitures, et leurs toilettes. À midi et à 20h, on nous distribuait du pain.

Au bout de quatre jours, après un entretien avec la police et une courte visite à l’hôpital, j’ai été emmené dans ce qu’ils appelaient ‘l’auberge de jeunesse’. Mais en fait, c’est une prison.

C’était interdit de sortir. Il y a des jours où on mangeait, d’autres non. Je pense qu’on était plus de 100 personnes. J’avais peur, mais au fond, je n’étais pas vraiment surpris. Des amis qui étaient au Maghreb m’avaient prévenu que l’Algérie, c’était compliqué. Mais je pensais quand même pouvoir y arriver.

En 2021, la délégation marocaine de l’ONU à Genève avait déploré que « les autorités algériennes, dans une pratique systémique », expulsent « des milliers de migrants et de demandeurs d’asile lors de raids en série ». D’après elle, les forces de sécurité algériennes ont notamment « séparé les enfants de leur famille lors d’arrestations massives » et « dépouillé les adultes de leurs biens ». La commission des droits de l’homme de l’ONU, elle, avait appelé l’Algérie à « s’abstenir de toute arrestation collective de migrants et de demandeurs d’asile » et « de détention arbitraire ». Sans effet jusqu’ici.

« Les policiers braquaient leur armes sur nous »

 

Après 22 jours dans cet endroit, on nous a tous entassés dans des bus, menottés. Au bout de deux jours et demi de route, on s’est arrêté à Tamanrasset, où d’autres cars ont rejoint les nôtres. Je pense qu’en tout, il y avait plus de 1 000 migrants. Les Nigériens ont été séparés des autres Africains. Et on a roulé, assis les uns sur les autres, de nuit. Les policiers braquaient leurs armes sur nous, on avait interdiction de bouger.

Et puis, au bout de cinq ou six heures, les bus se sont arrêtés. On nous a déposés dans le désert, il n’y avait rien autour. La police algérienne nous a crié : ‘Voilà Assamaka !’ en pointant le doigt vers l’horizon. ‘L’OIM, c’est tout droit’. On s’est mis en marche, je ne sais plus pour combien de temps. Tout ce dont je me souviens, c’est que j’étais épuisé, complètement à bout de forces. J’ai quand même réussi à faire la dizaine de km qui nous séparaient d’Assamaka.

Depuis des années, les autorités algériennes abandonnent des migrants à cet endroit en plein désert, appelé « Point-Zéro ». Les dangers de ces expulsions sont immenses. Lorsqu’ils sont lâchés, les exilés sont livrés à eux-mêmes, sans eau ni nourriture. Chaque année, de nombreux exilés disparaissent aussi sans laisser de trace dans le Sahara. Ils peuvent se perdre, mourir de déshydratation ou être victimes de groupes mafieux.

Des migrants à Assamaka, au Niger, à la frontière avec l'Algérie. Crédit : Mehdi Chebil
Des migrants à Assamaka, au Niger, à la frontière avec l’Algérie. Crédit : Mehdi Chebil

« J’ai évité la Méditerranée »

 

Arrivé là-bas, c’était très dur. Le local de l’OIM était saturé, il n’y avait plus de place. Je suis tombé malade : je me sentais très faible, j’avais mal partout et je ressentais beaucoup de tristesse : j’étais déçu de moi-même car je n’avais pas atteint mon objectif. Et j’étais traumatisé par la violence de mon expulsion.

Mais aujourd’hui, avec le recul, je me dis que finalement ce n’est peut-être pas plus mal. J’ai évité la Méditerranée. Et quand je vois les naufrages sur Internet … Je préfère rester à Ziguinchor [au Sénégal], où je suis rentré après mon expulsion.

J’ai d’autres projets maintenant. En ce moment, je travaille dans une boutique d’alimentation, mais moi à la base je suis agriculteur, comme mon père en Guinée. Je voudrais avoir des terres et cultiver.

Ce qui est important pour moi aussi maintenant, c’est de raconter mon histoire. Je veux informer les gens sur ce qu’il se passe sur cette route ».

Marlène Panara

Source : Info Migrants (France)

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