Le Monde – Il y a de quoi s’y perdre, entre tous les acronymes. Il y a les BRICS, groupe constitué à l’origine de cinq grands pays « émergents » – pour peu que l’on considère que la Russie émerge –, désormais élargi à quatre autres membres et qui se réunissent, avec une vingtaine de pays amis, entre mardi 22 et jeudi 24 octobre à Kazan, en Russie. Il y a aussi les pays qui ont rejoint les « nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative, BRI), les Etats d’Asie centrale réunis avec Moscou et Pékin au sein de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS), ou encore le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac).
La liste des Etats concernés n’est jamais tout à fait la même, mais les sommets présentent des similarités : les sujets de contentieux entre participants sont laissés au vestiaire ; le rendez-vous se termine par un communiqué appelant à un nouvel ordre mondial plus représentatif et plus juste ; les Etats-Unis ne sont pas là. Et la Chine est à chaque fois la puissance dominante.
Ces différents rendez-vous matérialisent la stratégie de la puissance chinoise. Pour s’installer, celle-ci monte à la fois dans les institutions existantes, en envoyant par exemple ses officiels à la direction d’agences de l’ONU, comme l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, pilotée par un Chinois depuis 2019. Et elle en façonne d’autres, parallèles.
La diplomatie des sommets alternatifs au monde occidental, incarné par le G7, permet à Pékin de pousser sa vision du monde selon laquelle un modèle politique – la démocratie libérale – n’est pas plus légitime qu’un autre, et le droit au progrès économique peut dépasser d’autres droits humains.
En finir avec l’ordre américano-centré
La Chine veut surtout montrer qu’une majorité de la population mondiale s’accorde sur la nécessité d’en finir avec l’ordre américano-centré. La toute-puissance du dollar, le réseau d’alliances militaires des Etats-Unis, la vision des droits de l’homme incluant les libertés politiques et d’expression défendues à l’ONU sont autant d’éléments que la Chine populaire entend affaiblir pour se faire accepter.
Ces formats se sont multipliés depuis que Xi Jinping est arrivé au pouvoir, en novembre 2012 : ils forment désormais un calendrier régulier avec, à chaque fois, la Chine au centre de la photo. Pas plus tard qu’en septembre, du 4 au 6, la capitale chinoise accueillait des représentants de 53 des 54 Etats africains – l’Eswatini, ex-Swaziland, étant le seul du continent à reconnaître Taipei et non Pékin.
En retour, ces pays, plus faibles, peuvent revendiquer le respect d’un grand et ont l’oreille de ses dirigeants sur des projets précis les intéressant, comme le financement de chantiers d’infrastructures. Avec les Africains en septembre, le communiqué final appelait à un « monde multipolaire égalitaire », un phrasé apparemment anodin mais qui, dans le discours chinois, est une attaque contre les pouvoirs exorbitants des Etats-Unis.
Puisque ces forums montrent que son discours est soutenu et donc légitime, la Chine a tout intérêt à y trouver l’assise la plus large possible. Elle pousse donc en faveur de l’élargissement des BRICS, de même que la Russie, qui entend montrer que l’Occident n’est pas parvenu à l’isoler. Mais la volonté d’extension chinoise est source de friction avec d’autres membres fondateurs des BRICS qui ont leur initiale dans l’acronyme. Le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud sont les plus grandes puissances dans leurs sous-régions respectives sans avoir la même ampleur économique et diplomatique que la Chine. Ils craignent de voir leur voix diluée dans le forum si le rendez-vous devient la réunion générale de tous les pays en développement. Pékin, qui entretient des relations économiques approfondies avec chacun d’eux, sera plus à même de dicter le programme et d’en établir le calendrier.
Source : Le Monde – (Le 22 octobre 2024)
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