Idées – Entre panafricanisme et aspirations au changement, vers un “printemps africain” ?

Courrier international  – Un vaste mouvement de contestation populaire a secoué récemment le Kenya, l’Ouganda ou encore le Nigeria. Issus de la génération Z, les manifestants ont protesté contre la vie chère, mais également contre l’incurie et la corruption de leurs dirigeants. Pour “African Arguments”, ces secousses politiques montrent une tendance claire sur le continent, entre refus du néolibéralisme, nationalisme des ressources et renouveau politique.

Ces dernières années, le passage de nombreux pays africains sous le joug militaire a alimenté les débats sur l’avenir incertain de la démocratie en Afrique et dans le reste du monde. Récemment, les mouvements sociaux menés par la jeunesse se multiplient à travers le continent et remettent en cause le statu quo en protestant contre la vie chère, la corruption et la crise de la dette. Va-t-on assister au même scénario qu’en 1990, lorsque, de Dakar à Mombasa, les manifestations contre l’incurie et l’autocratie avaient ouvert la voie au pluralisme politique ?

Face à la part croissante de jeunes dans la démographie de nombreux pays d’Afrique, les instances gouvernementales en place se montrent incapables de créer de l’emploi et d’assurer l’accès aux services publics. Cette faillite politique a semé les graines de l’alternance, propulsant des personnalités qui promettent de rebattre les cartes de la politique.

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Ces acteurs longtemps en marge de la politique africaine ont su mobiliser la population contre la domination des élites économiques et politiques, qui s’exerce aux dépens des plus démunis.

Alors que le modèle néolibéral s’imposait dans le monde entier, certains pays africains, notamment des démocraties naissantes comme le Sénégal et la Tanzanie, ont vu monter dans leur population une aspiration au changement et un regain des idéaux des luttes d’indépendance. Dans d’autres pays, comme l’Afrique du Sud, la contestation antisystème est surtout nourrie par les inégalités économiques.

Les nouveaux visages de la gauche panafricaine

 

Ce nouveau populisme de gauche est surtout porté par les figures de proue des trois plus jeunes partis marxistes-léninistes du continent : Bassirou Diomaye Faye au Sénégal, Julius Malema en Afrique du Sud et Zitto Kabwe en Tanzanie.

Les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) ont remporté l’élection présidentielle du 24 mars 2024 dès le premier tour avec 54 % des voix, en battant Amadou Ba, candidat du président sortant Macky Sall.

En Afrique du Sud, les Combattants pour la liberté économique (Economic Freedom Fighters, EFF) de Julius Malema ont vu leur score reculer de 1,5 % aux élections générales de mai. Cependant, la formation d’un gouvernement d’union nationale entre le Congrès national africain (ANC) et l’Alliance démocratique – majoritairement dirigée par des Blancs – est l’occasion rêvée pour les EFF et leur leader enflammé de se réaffirmer en tant que parti d’opposition.

En Tanzanie, Zitto Kabwe est confiant : l’Alliance pour le changement et la transparence (ACT-Wazalendo) pourrait bien remporter les élections locales à Zanzibar, cette île tanzanienne semi-autonome qui est son fief. Ce scrutin prévu en novembre fera figure de test pour son parti avant les élections générales de 2025, où il espère faire tomber le Chama Cha Mapinduzi (CCM), le plus ancien parti du pays, actuellement au pouvoir.

Les difficultés rencontrées par Ousmane Sonko au poste de Premier ministre du Sénégal et celles de Julius Malema aux dernières élections générales sud-africaines font que l’ACT-Wazalendo tanzanien se retrouve au premier plan de la gauche panafricaine. Face aux échéances électorales à venir, toute la question est de savoir si le parti de Zitto Kabwe imitera le Pastef et accédera au pouvoir, ou s’il subira une défaite qui minera son influence à long terme.

Le Pastef est attendu au tournant par les Sénégalais, qui le pressent de concrétiser les changements d’ampleur promis. En effet, le gouvernement s’est d’abord concentré sur l’affirmation de la souveraineté économique, monétaire et agricole du pays, alors que le peuple sénégalais attend une baisse du coût de la vie, plus d’emplois et la renégociation des accords de pêche avec l’Union européenne.

En Afrique du Sud, Malema et les EFF se préparent à jouer un rôle majeur dans l’opposition, une stratégie qui doit leur permettre de compenser les pertes du dernier scrutin. Le programme du parti, avec le slogan “Borderless Africa” [“Une Afrique sans frontières”], n’a pas réussi à convaincre les électeurs, plus intéressés par les enjeux nationaux. L’entrée au gouvernement de l’Alliance démocratique, souvent qualifiée de “parti blanc” et accusée de vouloir rétablir l’apartheid en Afrique du Sud, ne devrait pas infléchir cette tendance.

Vers un “printemps africain” ?

 

L’essor du Pastef, des EFF et de l’ACT-Wazalendo et la notoriété de leurs meneurs sur la scène internationale s’expliquent par les événements de la période 2008-2014. Dans un monde encore sous le choc de la crise de 2008, le “printemps arabe” a entraîné la chute du président libyen Mouammar Kadhafi, le début de la guerre civile en Syrie et de faux espoirs de démocratie en Tunisie et en Égypte. C’est en réaction à ce contexte instable, mais aussi à une crise démocratique qui couvait depuis les années 1990, que ces mouvements ont émergé en Afrique subsaharienne.

Les dirigeants de ces partis ont eu des parcours bien différents. Julius Malema a quitté le Congrès national africain (ANC), dont il avait dirigé le mouvement de jeunesse, pour fonder les EFF, tandis que Zitto Kabwe a fondé l’ACT-Wazalendo après son exclusion du principal parti d’opposition, le Chadema. Ousmane Sonko, quant à lui, s’est fait connaître comme un fonctionnaire du fisc sénégalais en créant un parti antisystème avec le soutien des employés de douane.

En Afrique du Sud, la période post-Thabo Mbeki a été marquée par la remise en cause progressive de l’accord politique conclu par Nelson Mandela en 1994, qui avait mis fin au régime d’apartheid et à la domination de la minorité blanche. Les Sud-Africains noirs avaient le sentiment d’avoir gagné leur liberté politique, mais de rester les laissés-pour-compte de l’économie nationale.

Les EFF ont profité de cet élan contestataire pour porter la revendication de la restitution des terres au nom de la liberté économique du peuple noir. Malema s’est érigé en champion de l’émancipation économique des Noirs, critiquant la réticence de l’ANC à redistribuer les terres de la minorité blanche à la majorité noire. Les EFF pourraient aussi bénéficier du rejet de Jacob Zuma et de son parti, l’ANC, qui, à la tête d’un État corrompu et livré aux intérêts privés, cumule querelles intestines, difficultés économiques et popularité en berne, d’où ses résultats catastrophiques au scrutin de mai.

Souveraineté monétaire et nationalisme des ressources

 

En Afrique de l’Ouest francophone, la population réclame sa souveraineté monétaire et la fin de la Françafrique, ce système néocolonial imposé par la France à ses anciennes colonies. Au Sénégal, en particulier, le rejet du franc CFA a pris de l’ampleur dans les manifestations contre l’impérialisme français et contre cette monnaie héritée de la colonisation.

Ousmane Sonko, ancien percepteur soutenu par les syndicats d’employés du fisc, a ainsi articulé un discours contre les Français, qu’il accuse d’avoir conservé leur mainmise sur l’économie sénégalaise.

Le rejet de la France et la lutte contre la corruption ont été les clés de la victoire du Pastef à l’élection présidentielle. Au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique, on attend de voir si le parti arrivera à transformer le pays, une question qui déterminera la possible exportation de ce modèle politique à d’autres pays africains.

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En Tanzanie, 2014 a marqué l’apogée du “nationalisme des ressources” : des mobilisations contre l’accaparement des ressources du sud du pays par les entreprises étrangères s’étaient alors soldées par la mort de plusieurs manifestants sous les balles de la police, avant que l’armée n’intervienne pour étouffer le mouvement.

Dans les mois qui ont suivi, un scandale lié à la production d’électricité a éclaté, révélant le détournement de plus de 250 millions de dollars et suscitant une vague de démissions parmi les cadres du gouvernement. Zitto Kabwe s’est alors positionné en porte-parole de la contestation, contre la corruption endémique dans l’administration tanzanienne et pour la mise des ressources naturelles au service de l’intérêt général.

 

 

 

 

 

 

 

African Arguments (Londres)

Cette revue en ligne est dédiée à l’analyse des enjeux de l’Afrique contemporaine. Lancée en 2007 et éditée par la Royal African Society, une fondation britannique qui promeut le continent, elle est l’une des plateformes de débat sur l’Afrique

 

 

 

 

Source : Courrier international (France)

 

 

 

 

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