Société – En Gambie, une exciseuse quasi centenaire : “Je n’arrêterai pas de faire ce que je fais”

 Courrier international  – Yassin Fatty, 96 ans, a été la première femme condamnée en Gambie pour avoir pratiqué des excisions, en vertu d’une loi de 2015. Mais sa peine avait suscité une levée de boucliers des milieux traditionnels et donné lieu à une campagne pour lever l’interdiction de cette pratique. “The New York Times” l’a rencontrée dans son village de Bakadaji.

Il y a des fillettes, assises, nerveuses, dans leur robe toute neuve sous le soleil de l’après-midi. Des musiciens, des gens qui dansent et de grands plateaux de mets. Des couteaux d’un autre temps, fabriqués à la main, et des lames de rasoir flambant neuves. Pour les 30 exciseuses traditionnelles, la cérémonie rappelle les grandes excisions rituelles qu’elles et leurs ancêtres organisaient depuis des siècles et des siècles, dans les forêts de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest qu’est la Gambie.

Sauf que cette fête-là, qui se déroule en 2013, dans la petite bourgade de Wassu, en est l’exact opposé : les exciseuses sont venues ici proclamer solennellement leur renoncement à cette pratique. L’une après l’autre, elles font un pas en avant et jurent de ne plus jamais pratiquer d’excision, laissant tomber au sol les couteaux et les lames. Pour ces femmes, cette cérémonie semble marquer la fin d’une tradition ancestrale, d’un pilier de la vie sociale. Pour d’autres, la fin d’une tradition effroyable.

Pourtant, une des femmes présentes ce jour-là, une grand-mère du nom de Yassin Fatty, sera, dix ans plus tard, en 2023, la première exciseuse gambienne à être condamnée pour mutilation génitale féminine.

Entre-temps, en 2015, la Gambie a voté une loi interdisant l’excision. Mais, pendant des années, la loi n’a pas été appliquée, et les Gambiens sont restés nombreux à soutenir cette pratique. Aussi, quand Yassin Fatty a été arrêtée et condamnée l’an dernier, un peu partout dans tout le pays, la population s’est soulevée contre cette législation.

La trajectoire de Yassin Fatty n’aurait pas été ce qu’elle est sans deux hommes : un militant anti-mutilations aux motivations troubles et un célèbre imam qui appelle à légaliser de nouveau l’excision.

“S’opposer à l’excision, c’est s’opposer à Dieu”

 

En juillet 2024, nous nous rendons dans la campagne gambienne pour y rencontrer Yassin Fatty. À midi, nous la trouvons endormie, allongée à l’ombre sur une natte, dans la ferme familiale du village de Bakadaji, où elle est née. À 96 ans, elle mérite bien une petite sieste.

Nous nous installons dans une pièce pour discuter, un de ses fils et plusieurs de ses petits-fils assis autour de nous. “Maintenant, ma seule tâche, c’est de manger”, dit-elle, les yeux pétillants, avant de se tourner vers sa fille adoptive, Mariama Souso, pour lui demander quand sera son prochain repas.

Les filles sont excisées depuis la nuit des temps à Bakadaji, un village à la population soudée, niché dans la région de la Rivière centrale. Et pendant des décennies, Yassin Fatty a fait partie des milliers d’exciseuses qui pratiquent cette activité de génération en génération. Elle opérait les fillettes dans une salle de bains extérieure, raconte-t-elle. Juste après, elle les emmenait dans la pièce aux murs en terre où nous nous trouvons assis. Nous regardons autour de nous. Un tissu élimé pend à l’entrée en guise de porte. Pour seuls meubles, un simple lit en bois et un banc couvert d’un tissu brodé de ces mots : “Je t’aime”.

En Gambie, exciser une fillette signifie lui retirer le clitoris et une partie des petites lèvres – et parfois suturer le vagin en ne laissant qu’un petit accès. Ailleurs, exciser une fillette est une mutilation d’une cruauté indicible. Une grande partie de la population gambienne considère que les filles qui ne sont pas excisées sont impures et impies. Elles deviennent souvent des parias. Aucun homme ne voudra les épouser. Personne ne mangera leur cuisine.

Assis sur le sol de terre battue, un des petits-fils de Yassin Fatty, Abdoulaye Cham, 24 ans, prend la parole : on excise aussi les filles pour les empêcher de tromper leur mari. “Beaucoup de jeunes hommes doivent voyager et laisser leur épouse à la maison”, ajoute-t-il.

Source : Courrier international (France)

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