En Israël, l’enquête impossible sur le fiasco sécuritaire

« 7-Octobre, un an après ». Le massacre du 7-Octobre a mis en lumière des défaillances au niveau du renseignement, de l’armée et des responsables politiques israéliens. Mais le travail d’analyse des responsabilités n’a toujours pas commencé.

Le Monde – Des failles béantes sont apparues avant, pendant et même après la violente attaque menée par le Hamas en Israël le 7 octobre 2023 : les services de renseignement ont fait défaut, les réponses dans les premières heures n’ont pas été à la hauteur, mais au-delà, c’est tout un système qui est interrogé. Pourtant, aucun responsable politique ou militaire israélien, et en premier lieu le premier ministre, Benyamin Nétanyahou, ne semble pressé de lancer une commission d’enquête, tant que la guerre continue.

En juillet, l’armée a publié les résultats d’une investigation limitée à l’attaque sur le kibboutz de Beeri, concluant à une réponse trop lente et à une mauvaise organisation. Une autre enquête a été lancée en décembre 2023 par le contrôleur d’Etat, un fidèle de M. Nétanyahou. Elle a été suspendue par le procureur général, arguant qu’elle risquait de nuire à l’effort de guerre. La procédure avait été lancée suite à la requête de l’association israélienne Mouvement pour un gouvernement de qualité, qui lutte contre la corruption et les excès de pouvoir. L’association veut une commission d’enquête d’Etat, indépendante du gouvernement.

Plusieurs responsables ont néanmoins tiré les conclusions de ces événements. En avril, le major général Aharon Haliva, chef du renseignement militaire, fut le premier officier à reconnaître sa responsabilité dans le fiasco sécuritaire du 7-Octobre et à annoncer sa démission. En juin, Avi Rosenfeld, commandant de la division de Gaza, lui a emboîté le pas. Yossi Sariel, le chef de l’unité 8200, l’élite du cyber-renseignement, a suivi en septembre.

Le chef du Shin Bet – les renseignements intérieurs – de la région sud d’Israël, qui a conservé l’anonymat, a, lui, quitté son poste. Il faut dire que, selon des révélations du New York Times parues le 30 novembre, les services israéliens avaient obtenu les plans de l’attaque, un document du Hamas de 40 pages baptisé du nom de code « Mur de Jéricho », un an avant son déclenchement. Et les signaux se sont multipliés, jusqu’à la veille de l’attaque.

Les failles

 

Le 6 octobre, à 23 heures, une guetteuse de l’armée israélienne, membre d’une équipe qui suit les mouvements du Hamas à Gaza, avertit qu’un certain Ali Al-Qadhi, chef d’une section du groupe armé dans le nord de l’enclave, agit de façon suspicieuse : « On dirait qu’il se prépare à un assaut, avec ses hommes », rapporte-t-elle, selon une enquête du quotidien israélien Haaretz, publiée en mai 2024.

Le destinataire de l’alerte, un officier de la division de Gaza, n’y porte pas attention, persuadé qu’il s’agit d’un entraînement de routine. Quelques heures plus tard, le mouvement islamiste lance l’attaque la plus meurtrière de l’histoire d’Israël.

Cette faille s’explique à plusieurs niveaux : dans la collecte du renseignement, dans son analyse, mais aussi en raison d’une profonde incompréhension du Hamas et de ses intentions. Depuis 2007, le mouvement islamiste paraissait sous contrôle, enfermé dans une bande de Gaza dont il ne parvenait pas à briser le blocus imposé par Israël et l’Egypte. Jusqu’en mai 2021, où le mouvement islamiste a déclenché une guerre de onze jours contre Israël, dévoilant un impressionnant arsenal de roquettes.

A la suite de cette escalade, le chef d’état-major de l’époque, Aviv Kochavi, et Aharon Haliva, le chef des opérations à la direction du renseignement militaire, assurent que les clôtures, souterraine et de surface, enserrant Gaza sont en mesure de résister à un assaut terrestre. Cette barrière, dite « intelligente », dont le coût a été évalué à plus de 1 milliard de dollars, est réputée infranchissable.

L’investissement dans le renseignement humain à l’intérieur de Gaza passe au second plan. D’autant qu’en face, il y a Yahya Sinouar, le chef local du Hamas, un combattant plus qu’un apparatchik, rompu à la lutte contre les infiltrations. C’est lui qui a fondé, dans les années 1980, le premier appareil sécuritaire de l’organisation islamiste, le Majd, spécialisé dans la chasse aux collaborateurs avec l’ennemi.

Pour Israël, confiant dans les capacités de sa barrière « intelligente », il suffit de gérer le problème épisodique des tirs de roquettes et de laisser le Hamas s’éteindre en silence, comme la cause palestinienne. Les priorités du moment sont d’abord l’Iran, puis le Hezbollah, au Liban, et enfin la Cisjordanie, en proie à un regain d’activisme armé. Ceux qui questionnent cette approche sont rabroués par leurs supérieurs.

En octroyant des milliers de permis de travail à des Gazaouis à partir de 2021, Israël pensait avoir acheté la paix sociale. Une impression renforcée par le fait qu’en août 2022 et en mai 2023, lors de deux confrontations avec le Jihad islamique palestinien, un petit allié du Hamas, ce dernier était resté l’arme au pied.

Le mouvement islamiste passait pour une organisation en voie de notabilisation, moins intéressée par la guerre que par sa survie économique. L’illusion était parfaite. Le scénario d’une invasion avec plusieurs milliers de combattants n’était tout simplement pas envisagé par Israël. « C’est un échec national. Les politiques, les médias, les chercheurs : tous se fondaient sur l’hypothèse que le Hamas était devenu un parti de gouvernement dirigeant un proto-Etat », constate Michael Milstein, ancien officier du renseignement, qui avait alerté sur la dangerosité du mouvement en amont du 7 octobre 2023.

L’attaque

 

L’attaque est l’exécution d’un plan maintes fois répété. Le Hamas fait tomber une pluie de missiles sur tous les environs de l’enclave. Effet immédiat : civils comme soldats se barricadent, une partie de la défense au sol devient inopérante. Ensuite, les mitrailleuses automatiques et les antennes de surveillance sont neutralisées à l’aide, notamment, de drones achetés dans le commerce et équipés d’explosifs. Les troupes qui ne sont ni aux abris ni en permission en ce jour de fête religieuse de Simhat Torah sont rendues sourdes et aveugles. Puis, la barrière est dynamitée en plusieurs dizaines d’endroits.

A 6 h 30, l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » commence. Le Hamas lance ses unités de choc, les Noukhba, l’élite des Brigades Al-Qassam, l’aile militaire du mouvement islamiste palestinien, dans un assaut terrestre d’ampleur. Selon un rapport de l’organisation de protection des droits humains Human Rights Watch, les branches armées d’autres factions politiques se joignent à l’attaque : celles du Jihad islamique, du Front démocratique de libération de la Palestine, du Front populaire de libération de la Palestine et les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, auparavant rattachées au Fatah, le parti du président palestinien, Mahmoud Abbas.

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  (Jérusalem, correspondance)

Source : Le Monde

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