François Cheng, le poète français venu de Chine

The Conversation   – C’est l’un des plus grands poètes contemporains de langue française. François Cheng a pourtant appris à parler et écrire en français à l’âge adulte seulement, après un exil forcé de sa Chine natale. Retour sur une vie faite d’exil et de recommencements qui a donné naissance à une œuvre poétique et artistique où la réflexion sur la mort et la beauté se lie à l’obsession de tracer des ponts entre l’Orient et l’Occident, entre les différents arts, entre soi et l’Autre.

 

Rien ne prédestinait le petit Cheng Chi-Hsien, natif de la région chinoise du Jiangxi à venir un jour en France, encore moins à devenir un poète français reconnu mondialement, siégeant à l’Académie française. Au cours de son existence, Cheng Chi-Hsien va pourtant choisir le nom de François Cheng, signer ainsi une vingtaine de recueils de poésie et de romans, autant d’essais, et ne cessera de bâtir des ponts entre l’Orient et l’Occident, tout en proposant une réflexion sur les grands thèmes universels que sont par exemple la beauté, la mort et l’âme. Âgé aujourd’hui de 95 ans, voici son histoire.

Une découverte précoce de la littérature française avant la douleur de l’exil

François Cheng est né en 1929 dans une famille chinoise de lettrés et d’universitaires. Initié à la calligraphie par son père, il pratique cet art dès son plus jeune âge. Ses études secondaires à Chongqing, dans le sud de la Chine, sont marquées par la lecture d’auteurs occidentaux tels qu’André Gide et Romain Rolland, traduits et appréciés par les lettrés chinois du début du XXe siècle. À quinze ans, il écrit son premier poème en chinois, intitulé « L’eau », qu’il retranscrit et traduit plus tard dans le cahier de l’Herne qui lui est consacré.

Mais cette vocation précoce pour la création littéraire va être bouleversée par la guerre sino-japonaise de 1937 à 1945 qui, en le contraignant à un long exode, perturbe également sa scolarité. Pendant cette période, il côtoie maintes fois la mort, « sous les bombardements, emporté par une épidémie ou tout bêtement par un faux pas ». Cette vie d’exil l’empêche dans un premier temps de s’engager dans des études supérieures. Finalement, grâce aux relations de son père, il est admis en 1947 dans une université privée de Nankin, où il commence des études de littérature anglaise, avant d’abandonner au bout de six mois, dans un élan de rébellion confuse, lui qui était autrefois un bon élève devient « une espèce d’écorché vif, un révolté sans idéologie ».

L’arrivée en France

Il arrive à Paris le 31 décembre 1948, emmené par son père, expert en sciences de l’éducation, à l’occasion d’une conférence internationale préfigurant la fondation de l’Unesco. Son père obtient dans la foulée un contrat d’un an à Paris. L’année suivante, avec le changement de régime dans une Chine bouleversée, sa famille choisit de partir aux États-Unis, où ses parents ont fait leurs études.

Âgé de vingt ans, François Cheng décide lui de rester seul en France. Fasciné par la culture occidentale, il y est venu pour étudier la peinture et bénéficie pour cela d’une bourse pendant deux ans. Il envisage ensuite de retourner dans son pays natal, mais la situation politique en Chine, notamment la campagne contre les intellectuels lancée à partir de 1954, rend cela impossible. Toute forme de création y est devenue impraticable. C’est alors qu’il prend conscience de son exil, poursuivi par une sorte d’interrogation métaphysique sur lui-même : « Qui suis-je ? Pourquoi suis-je si loin de ma terre natale ? Quel est ce destin absurde ? »

L’apprentissage du français ou « l’ivresse de renommer les choses à neuf »

Sans connaître un mot de français, il traverse une période d’interrogation intense. L’abandon de sa langue maternelle et l’inaccessibilité de sa langue d’accueil font de lui un homme sans parole, situation particulièrement déchirante pour quelqu’un qui nourrit l’ambition de se consacrer à la création littéraire et de devenir poète. La barrière de la langue le réduit à une « condition d’immigré qu’on traite mal et dont on bafoue la dignité ».

Afin de briser cette barrière, il suit des cours de langue à l’Alliance française et des cours de civilisation française à la Sorbonne. Petit à petit, immergé dans cette terre d’accueil et initié au français, il éprouve « l’ivresse de renommer les choses à neuf comme au matin du monde ». Après une première analyse d’un long poème des Tang, il applique la méthodologie du structuralisme et de la sémiologie pour introduire l’art classique chinois en France dans deux essais : L’Écriture poétique chinoise (1977) et Vide et plein, le langage pictural chinois (1979). Par la suite, il publie un ouvrage sur l’histoire de la peinture chinoise, L’Espace du rêve : mille ans de peinture chinoise (1980), et deux monographies sur des peintres classiques, Chu Ta : le génie du trait (1986) et Shitao : la saveur du monde (1998).

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Professeure agrégée de chinois, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)

 

 

 

 

Source : The Conversation 

 

 

 

 

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