Afrique XXI – Les fascistes italiens utilisaient le cyclisme dans le but de démontrer leur supériorité raciale, mais les cyclistes érythréens n’ont pas tardé à les mettre dans l’embarras. Aujourd’hui, une nouvelle génération de coureurs, à la tête desquels figure Biniam Girmay, échappe à une autre tyrannie et, paradoxalement, unit la nation.
Le cyclisme en Érythrée, tout comme les conceptions architecturales d’Asmara qui lui ont valu d’être reconnue par l’Unesco comme « ville africaine moderniste », est un héritage colonial transformé par la passion et la résilience des Érythréens. Introduit par les Italiens à la fin du XIXe siècle, ce sport est devenu un élément essentiel de la culture et de l’identité érythréennes. Aujourd’hui, les cyclistes érythréens concourent sur la scène mondiale, incarnant la détermination d’une nation qui a dû faire face à de nombreux défis.
J’ai grandi à Agordat, une ville de l’ouest de l’Érythrée située à 175 kilomètres de la capitale, Asmara. Il y avait des bicyclettes, mais c’était un luxe que peu de gens pouvaient s’offrir, et le cyclisme n’était pas encore profondément ancré dans la culture locale. Mon père en possédait une, ce qui n’était pas courant, et je l’accompagnais souvent, assis sur le cadre pendant qu’il pédalait à travers la ville. J’ai appris à faire du vélo vers l’âge de 12 ans, l’âge auquel Biniam Girmay a remporté sa première compétition de VTT à Asmara.
À Agordat, nous n’avions pas le luxe de disposer de petits vélos à trois roues pour les enfants, nous avons donc appris à rouler sur des vélos d’adulte. En tant que centre agricole, Agordat a été conçue avec des rues larges et ouvertes – un héritage de la planification coloniale italienne. Malgré les effets néfastes du colonialisme, l’infrastructure qu’il a laissée derrière lui, notamment ces rues parfaites pour les cyclistes, reste un avantage à ce jour. Le seul problème, c’est que les rues n’étaient pas pavées et que les crevaisons étaient fréquentes.
Rares étaient les jours qui, après l’école, ne se terminaient pas par la démonstration d’un jeune aventurier désireux de montrer aux filles à quel point il était habile sur un vélo. La ville disposait même d’un magasin de location de vélos, précurseur des systèmes modernes de partage de vélos que nous connaissons aujourd’hui.
Dans une petite ville où tout le monde se connaissait, la location était basée sur la confiance. Il était difficile de gérer le délai de location, car peu de personnes possédaient une montre, et il y avait parfois des disputes si quelqu’un était en retard. Dans chaque ville érythréenne, on trouve aujourd’hui un magasin de bicyclettes et des services de réparation, et ils sont très fréquentés, surtout pendant les vacances.
Le mythe suprémaciste brisé
Bien qu’il n’y ait ni club cycliste officiel ni compétition à Agordat, le terrain plat de la ville a fait de la bicyclette un passe-temps populaire. À Asmara, les bicyclettes sont affectueusement appelées bishkeleta, un terme dérivé de l’italien ; à Agordat, elles sont connues sous le nom d’ajelet, d’après le mot arabe.
L’Italie, qui a colonisé l’Érythrée de 1890 à 1941, a introduit les bicyclettes en 1898, d’abord pour les livraisons postales à Massawa. Au fil du temps, les bicyclettes ont gagné en popularité parmi les Italiens de la colonie, ce qui a conduit à la création d’une fédération de cyclisme en 1936 et à l’organisation d’une première course en 1937. Cependant, les Érythréens étaient exclus du centre-ville et des compétitions. Lorsqu’ils ont finalement été autorisés à concourir avec les Italiens, en 1939, c’est l’un d’eux, Ghebremariam Ghebru, qui a remporté la course, brisant ainsi le mythe de la suprématie des fascistes italiens.
Aujourd’hui, l’Érythrée est considérée comme l’une des meilleures nations cyclistes d’Afrique, avec des supporters passionnés. Chaque dimanche, lors des courses à Asmara, des milliers d’Érythréens envahissent les rues pour encourager leurs équipes et leurs coureurs préférés.
Dans les années 1930 et 1940, des clubs de cyclisme ont commencé à se former à Asmara, et le sport s’est rapidement imposé. Les courses locales, telles que le « Gran Premio della Liberazione », sont devenues des rendez-vous réguliers, et le cyclisme est devenu un symbole de modernité et de fierté nationale. Depuis, il est profondément ancré dans la culture érythréenne. Les jeunes Érythréens sont inspirés par les héros cyclistes du pays, et des événements comme le Tour d’Érythrée offrent aux nouveaux talents l’occasion de briller sur les scènes nationale et régionale.
est un chercheur afro-norvégien et écrivain basé à Oslo
Source : Afrique XXI
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