– Ils sont venus à Paris de Nouvelle-Zélande, d’Australie, des Etats-Unis, d’Allemagne, de Suisse ou de Majorque. Ils et elles sont les membres de l’autobaptisé « Collège invisible », groupe d’experts scientifiques à la sauce Avengers ou Ligue des gentlemen extraordinaires destiné à lutter contre le Mal. Ici, il s’agit non de sauver la planète, mais de « décontaminer la littérature scientifique », comme l’indique le titre de leur symposium qui s’est tenu, à huis clos, du 17 au 19 septembre.
C’est la première fois que cette quarantaine de « détectives » de la science, chassant les manquements à l’intégrité de certains articles scientifiques, et qui ont à leur actif d’avoir fait rétracter des milliers de textes pour ces motifs, se réunissent. Objectif : consolider leurs actions, jusque-là souvent individuelles ou en petits groupes montés pour la circonstance. « Se voir physiquement crée quelque chose de plus fort », témoigne Cyril Labbé, professeur à l’université Grenoble Alpes, un des co-organisateurs de cette réunion atypique et membre du projet européen NanoBubbles, d’étude de l’« autocorrection de la science ».
Le programme a d’ailleurs commencé par des présentations individuelles, très courtes, histoire de confirmer la variété des profils. La plupart, universitaires ou en retraite, n’y consacrent qu’une partie de leur temps. D’autres sont à plein temps, comme Guillaume Cabanac, professeur à l’université Toulouse-III-Paul-Sabatier et l’un des organisateurs de ce colloque. Il est notamment titulaire d’une chaire de l’Institut universitaire de France, qui cofinance l’événement, sur le thème de la décontamination de la science. Il est aussi membre de NanoBubbles, qui a complété le financement du symposium.
Les spécialités de ces limiers sont également diverses. Elisabeth Bik a l’œil pour repérer des images dupliquées, Jennifer Byrne traque, elle, les fausses séquences génétiques ou lignées cellulaires, Smut Clyde est habile à tirer le fil de pelotes pour dénicher des paper mills (des entreprises produisant de faux articles à la pelle), Lonni Besançon a plongé dans les faiblesses éthiques des articles de Didier Raoult, Nick Brown tique à la moindre erreur statistique…
« Wagons de rétractations »
« Il y a des fois où c’est drôle, tellement les fraudes sont mal faites », nous dit l’un d’eux. Mais leur activité n’invite pas toujours au rire. Sur une quinzaine de chercheurs interrogés par Le Monde, deux tiers déclarent avoir reçu des insultes et un quart des plaintes plus formelles. Mais tous veulent continuer. « L’un des buts [de notre action] est aussi de se soutenir, pour ne pas rester seuls. Créer une communauté », estime Guillaume Cabanac.
En petits groupes, la congrégation s’est aussi formée à divers outils informatiques, a échangé sur ses pratiques et techniques, a réfléchi à d’autres champs d’investigation comme les brevets. En plénière, elle a débattu de divers sujets comme l’éthique de la « dénonciation », la possibilité de « valoriser » leur activité autrement que par des publications, ou encore l’intérêt de formaliser leurs actions collectivement. Sur ce point, chacun semble vouloir garder sa liberté.
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