Le Monde – Les faits – L’Etat hébreu a annoncé, samedi, que le leader de la milice armée chiite pro-iranienne, véritable Etat dans l’Etat au Liban, a été tué par une frappe israélienne sur son fief de la banlieue sud de Beyrouth. Le Hezbollah a confirmé sa mort en début d’après-midi.
Avec son turban noir, réservé aux descendants du Prophète, ses fines lunettes et sa grosse barbe poivre et sel, Hassan Nasrallah est le visage du Hezbollah depuis plus de trois décennies. A la tête de cette milice vouée à la lutte armée contre Israël, devenue un Etat au-dessus de l’Etat libanais, le leader chiite a tenu le destin du pays du Cèdre entre ses mains, dans la guerre comme dans la paix. L’armée israélienne a annoncé avoir tué ce chef charismatique, vénéré religieusement par ses partisans, et craint par ses ennemis comme un stratège politico-militaire hors pair, vendredi 27 septembre, dans une frappe israélienne sur son fief de la banlieue sud de Beyrouth.
Face à des régimes arabes critiqués pour avoir abandonné la cause palestinienne, le « sayyed » comme il est surnommé, a incarné la résistance à Israël au sein du monde arabe. Il est adulé comme un nouveau Nasser ou un Che Guevara arabe, depuis que ses forces ont obligé Israël à se retirer du Liban sud, en 2000, après vingt-deux ans d’occupation. Une aura de héros rehaussée à l’été 2006, quand le Hezbollah a mis en échec les troupes de l’Etat hébreu, dans une brève guerre de trente-trois jours.
Objet de fascination, l’homme se plaît à dicter l’histoire du Moyen-Orient, avec une verve sans pareille, dans de longs discours fleuve, empreints de références religieuses, ponctués de traits d’humour et de menaces appuyées d’un doigt levé. Il est néanmoins un homme traqué, qu’on disait retranché dans un bunker sous la banlieue sud de Beyrouth, pour échapper aux tentatives d’assassinat d’Israël.
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, lors d’une conférence de presse dans son bureau à Beyrouth, au Liban, le 26 mai 1992.
Influence iranienne
Sa personnalité s’est révélée au fil de son ascension au sein du parti milice. Né le 31 août 1960 dans un quartier populaire de l’est de Beyrouth, dans une famille chiite du sud Liban, Hassan Nasrallah était l’aîné d’une fratrie de neuf enfants. A l’adolescence, il commence à fréquenter les mosquées et admire Moussa Al-Sadr (1928-1978), le chef religieux et politique d’origine iranienne à l’origine du réveil chiite au Liban, avec son Mouvement des déshérités. Lorsque, au début de la guerre civile au Liban, en 1975, les familles musulmanes sont chassées de leur quartier par les milices chrétiennes, les Nasrallah retournent vivre dans leur village d’origine, Al-Bazouriye, près de Tyr.
Hassan Nasrallah donne des cours de religion. Il rejoint le parti Amal, fondé par Moussa Al-Sadr, pour faire contrepoids aux nationalistes panarabes et de gauche. A 16 ans, il part à Nadjaf, en Irak, suivre des études religieuses. Le sayyed Abbas Moussaoui (1952-1992), un Libanais comme lui, devient son mentor. Mohamed Baqr Al-Sadr (1935-1980) reconnaît en lui un élève brillant. Ce dernier est l’un des architectes, avec l’ayatollah Ruhollah Khomeyni (1902-1989), du « veliyat e-faqih », ce concept de primauté du religieux sur le pouvoir politique que la révolution islamique de 1979 en Iran va imposer comme modèle de gouvernement.
La disparition mystérieuse de Moussa Al-Sadr en Libye, en août 1978, laisse la communauté chiite au Liban orpheline et ouvre la porte à l’influence iranienne. Hassan Nasrallah rentre dans son pays cet été-là pour échapper à la traque par le régime baasiste irakien des membres des partis d’opposition, après le soulèvement chiite de février 1977 et l’arrestation de Mohamed Baqr Al-Sadr – qui sera pendu deux ans plus tard. Israël a lancé l’opération « Litani » dans le sud du Liban. Hassan Nasrallah rejoint Abbas Moussaoui à Baalbek, dans la plaine de la Bekaa, et grimpe les échelons au sein du mouvement Amal.
Le parti se divise sur l’attitude à tenir face à l’invasion israélienne du Liban en 1982. A la tête d’Amal, l’avocat Nabih Berri fait le choix du compromis avec Israël avec le Comité de salut national. Les membres prônant la lutte armée, issus des rangs islamistes, se rangent derrière Abbas Moussaoui. La résistance islamique au Liban est née, dans la plaine de la Bekaa. Les pasdarans iraniens leur dispensent une formation militaire et idéologique. Leur vision est radicale. Décidés à confisquer tout le crédit de la lutte contre l’occupant, les combattants islamistes évincent, et parfois éliminent, leurs rivaux communistes et ceux d’Amal. Réunis dans l’organisation secrète du Jihad islamique, ils prônent l’action terroriste et mènent enlèvements et attentats au Liban et à l’étranger, comme ceux qui ont visé les soldats français et américains de la Force multinationale pour la paix, à Beyrouth, en 1983.
Lorsque le Hezbollah est officiellement créé en 1985, Hassan Nasrallah a 25 ans. Formé par les Iraniens au sein de la force bassidj, il joue un rôle dans la structuration du parti et la mobilisation des combattants, d’abord dans la Bekaa puis à Beyrouth où le mouvement prend ses quartiers dans la banlieue sud. Il rejoint le Conseil consultatif en 1987, puis prend la présidence du Conseil exécutif. Le mouvement se structure en un parti totalitaire, dont les institutions et les associations encadrent la communauté chiite, de la banlieue sud de Beyrouth à la plaine de la Bekaa et au sud du pays. Il séduit les jeunes des mosquées par son opposition à l’occupation israélienne et par son discours antiaméricain, mais aussi par son projet d’instaurer un Etat islamique au Liban. Avec les accords de Taëf en 1989, qui ont mis fin à la guerre civile et donné à la Syrie la tutelle sur le Liban, il obtient la reconnaissance de son droit légitime à la résistance et le droit de garder ses armes.
Stature de chef de guerre
A seulement 31 ans, Hassan Nasrallah nourrit déjà l’ambition de prendre la direction du mouvement. Mais c’est son mentor, Abbas Moussaoui, qui est désigné secrétaire général du Hezbollah, en mai 1991. Lorsque ce dernier est assassiné par Israël, en février 1992, Nasrallah est choisi pour le remplacer. Il imprime immédiatement sa marque. Il promet de « faire payer aux Israéliens » l’assassinat de Moussaoui et s’exécute, quelques jours plus tard, en lançant des roquettes sur Israël. Les qualités exceptionnelles qu’il déploie le verront reconduit à ce poste pendant plus de trente ans, tout comme son adjoint, le Cheikh Naïm Qassem.
Source : Le Monde
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