Au Nigeria, plongée dans les puissants empires du Moyen Age

Archéologie : Redécouvrir l'Afrique

Le MondeReportage « Redécouvrir l’Afrique » (3/5). Près de Lagos, l’enceinte massive qui protégeait au XVᵉ siècle la cité-Etat d’Ijebu va être entièrement révélée par une technologie de pointe. Il s’agit du plus grand monument connu en Afrique subsaharienne à ce jour.

Fouille mécanisée à l’aide d’une pelle hydraulique sur le campus de l’université Augustine, à Ilara, au Nigeria.

 

A première vue, ce n’est pas très impressionnant. Arrivé sur place, au sortir d’un village, il faut se pencher à travers la végétation dense pour distinguer un fossé, recouvert çà et là de détritus. Juste au-dessus se dresse un gros talus de latérite : là encore, sa terre rouge est recouverte d’arbres, de plantes et de lianes. Nous voilà, pourtant, devant une portion du plus grand monument connu à ce jour en Afrique subsaharienne, situé dans le sud-ouest du Nigeria actuel : une enceinte défensive d’une circonférence de plus de 160 kilomètres, formée d’un remblai et d’une tranchée atteignant parfois jusqu’à 20 mètres de haut. Elle protégeait la cité-Etat d’Ijebu, un royaume contemporain, entre autres, du célèbre royaume du Bénin, qui prospéra entre le XVᵉ et le XIXᵉ siècle.

« Vous pouvez passer devant en voiture sans même le voir », constate l’archéologue nigérian Joseph Ayodokun, devant cette partie du rempart qui a été coupée par le creusement d’une petite route. L’« Eredo de Sungbo », c’est son nom, a presque disparu sous la végétation foisonnante qui le dérobe aux regards et à la mémoire. Il a aussi, comme nombre de vestiges de l’histoire médiévale africaine, été longtemps délaissé par la recherche. Le Nigeria – pays très peuplé, dynamique mais chaotique – manque considérablement de moyens. Les chercheurs occidentaux, eux, ont longtemps manqué d’intérêt pour cette bande forestière d’Afrique de l’Ouest, entre côte et savane, qu’ils voyaient comme un « désert » civilisationnel, comme le décrit notamment l’historien François-Xavier Fauvelle dans son ouvrage L’Afrique ancienne (Belin, 2018).

Mesures d’une coupe stratigraphique sur le campus de l’université Augustine, à Ilara, au Nigeria.

A rebours de cette image, Ijebu – aujourd’hui Ijebu-Ode – était un influent centre urbain, qui tirait profit de sa localisation stratégique dans un paysage politique multipolaire. « Elle constituait une sorte de barrière pour les gens qui venaient de l’intérieur faire commerce avec la côte, et inversement », poursuit M. Ayodokun. Bien avant l’arrivée des Portugais à Lagos, en 1472, on s’y échangeait des épices, des noix de kola, de l’huile de palme, contre des étoffes ou du sel, transportés notamment via la véritable autoroute que constituait alors le fleuve Niger.

Localisation précise

Reflet de sa puissance, la construction de l’Eredo, au début du XVᵉ siècle, a nécessité d’énormes « quantités d’énergie et d’heures de travail », souligne l’archéologue nigérian, affilié à l’université d’Ibadan, dans le sud-ouest du Nigeria. « Pour mener un tel projet, ce devait être un pouvoir politique très fort et très déterminé », précise-t-il. La muraille de terre a « probablement » eu pour fonction à la fois de démarquer son territoire, d’en contrôler l’accès et de le défendre. Probablement, car elle reste largement méconnue.

L’année 2024 marque un tournant pour le projet archéologique international Ife-Sungbo, commencé en 2015, auquel appartient M. Ayodokun, grâce au recours du Lidar – cette technique de collecte de données par avion au moyen d’un laser –, qui permettra de visualiser le relief de l’Eredo ou encore son contour actuel. « C’est une technologie bien adaptée aux tropiques puisqu’elle vous permet de voir sous le couvert végétal », explique, par téléphone, l’archéologue français Gérard Chouin, codirecteur du projet. Son emploi est une première « à cette échelle – plus de 1 000 kilomètres carrés – en Afrique tropicale », se félicite-t-il. Le Lidar a notamment été utilisé à Angkor, au Cambodge, ou plus récemment en Equateur, où il a « révélé des morceaux de villes entières, insoupçonnées » sous la jungle, poursuit l’archéologue.

Image issue des données Lidar collectées au moyen d’un laser lors d’un survol aérien – qui permet de visualiser le relief de l’Eredo.

Cette campagne coûteuse (400 000 dollars, financés par le département d’Etat américain) va « permettre de voir une monumentalité qui était jusqu’à présent peu visible », souligne M. Chouin, insistant sur l’intérêt majeur de cet ouvrage, « le plus grand monument d’Afrique subsaharienne » mais aussi « l’enceinte territoriale de ce type la plus étendue qu’on connaisse dans le monde ». Les milliers de données récoltées grâce au Lidar, présentées début août lors d’un événement à Lagos, ont déjà appris aux chercheurs la localisation précise de tous les fragments du monument. Mais il faudra des années pour toutes les analyser, et récolter, peut-être, de précieux indices sur le royaume d’Ijebu lui-même, son fonctionnement et son état d’avancement technologique. De quoi éclairer, enfin, une histoire bien plus large.

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 (Ijebu-Ode et Ile-Ife (Nigeria), envoyée spéciale)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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