Mort d’Amadou Mahtar Mbow, ancien directeur général de l’Unesco

Premier Africain à la tête de l’agence onusienne chargée de l’enseignement et de la culture, l’intellectuel sénégalais est mort le 24 septembre à Dakar. Il avait 103 ans.

Le Monde  – Par son érudition et sa traversée d’un siècle, Amadou Mahtar Mbow était l’une des bibliothèques vivantes les plus riches d’Afrique de l’Ouest. Il est mort, mardi 24 septembre, à Dakar, là où il était né cent trois ans plus tôt. Ardent défenseur des libertés, Amadou Mahtar Mbow a eu mille vies qui ont notamment fait de lui le premier Africain directeur général de l’Unesco.

Né en mars 1921, Amadou Mahtar Mbow grandit à Louga, dans le nord-ouest du Sénégal. A la fin des années 1920, la région est frappée par la famine. Le gamin voit des gens mourir et ces images le marqueront à vie. « Il faut avoir vécu cela pour en comprendre l’angoisse », disait-il. La seconde guerre mondiale éclate, il a 18 ans.

Amadou Mahtar Mbow s’engage en tant que volontaire dans l’armée de l’air et intègre l’Ecole des radiotélégraphistes de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Dans la ville encerclée, il parvient régulièrement à franchir la ligne de démarcation. Il est démobilisé en 1940 et retourne au Sénégal, où il travaille au service économique de la circonscription de Dakar et dépendances. La guerre devient mondiale et, en janvier 1943, Amadou Mahtar Mbow est rappelé sous les drapeaux puis affecté à la base aérienne de Thiès, près de Dakar. De là, il réussit le concours d’entrée à l’Ecole supérieure de tir aérien d’Agadir qui lui permet de servir, jusqu’en octobre 1945, au Maroc puis en France.

Désaccords avec Senghor

Grâce notamment à ses tirailleurs, à ses goumiers et à ses spahis lors du débarquement de Provence, auquel Amadou Mahtar Mbow participe, la France est libérée. Le jeune homme décide de rester dans un Paris bouillonnant où les désirs d’indépendance se renforcent chez les étudiants africains. « Un jour, la gendarmerie est venue me signifier que je devais rentrer au Sénégal pour être démobilisé, déclarait-il dans Amadou Mahtar Mbow. Une vie, des combats (éd. Vives Voix, 2019). Je leur ai répondu : pour faire la guerre, je suis français et pour étudier, je ne le suis plus. Allez-vous faire voir ! » Il passe son baccalauréat et entre à la Sorbonne, où il s’inscrit en histoire et géographie.

Dans l’effervescence intellectuelle du Quartier latin, Amadou Mahtar Mbow s’engage dans le syndicalisme étudiant et milite pour une indépendance immédiate des colonies. Il rentre au Sénégal pour mener la lutte, s’intéresse à l’éducation, matière essentielle selon lui pour former les élites de demain. Il va consacrer quinze années de sa vie à l’enseignement.

En parallèle, il fait de la politique. Le 20 août 1960, lorsque le Sénégal proclame son indépendance, Léopold Sedar Senghor devient président de la République. Après un temps dans l’opposition, Amadou Mahtar M’bow est nommé ministre de l’éducation nationale (1966-1968), puis de la culture et de la jeunesse (1968-1970) et enfin député.

Au cours de cette période, il se heurte à Léopold Sédar Senghor, car il déplore notamment l’existence d’accords franco-sénégalais qui confèrent encore à la France une tutelle sur l’université de Dakar. « Le recteur est alors nommé par la France, rappelle le journaliste Hamidou Anne, auteur d’Amadou Mahtar Mbow. Une vie, des combats. L’ancienne puissance coloniale pouvait ainsi interférer dans le fonctionnement de l’enseignement supérieur. Contrairement à Senghor, M’bow voulait que l’université de Dakar soit une université africaine. »

Deux mandats

Le 15 novembre 1974, Amadou Mahtar Mbow est élu à l’unanimité directeur général de l’Unesco. Il devient la septième personnalité à accéder à ce poste prestigieux, le premier Noir à diriger une organisation onusienne. Il veut alors œuvrer pour un monde « plus fraternel » et s’atteler à la sauvegarde du patrimoine et évidemment de l’éducation.

Sous son impulsion, les pays du Sud demandent un « rééquilibrage » des rapports dans le domaine de l’information, déplorant notamment que les grandes agences de presse soient aux mains des grandes puissances. En 1977, Amadou Mahtar Mbow crée une Commission internationale qu’il confie à l’Irlandais Sean MacBride, fondateur d’Amnesty International et Prix Nobel de la paix (1974), et dans laquelle on retrouve aussi Hubert Beuve-Méry, fondateur du Monde.

En 1980, Amadou Mahtar M’bow est réélu, dans un climat alourdi par la guerre froide et les tensions entre pays du Nord et pays du Sud. Avec fracas, les Etats-Unis, plus grands contributeurs de l’Unesco, décident de se retirer de l’institution onusienne, qui se voit alors amputée de 25 % de son budget. « Amadou Mahtar Mbow va très intelligemment réorganiser l’organisation et faire en sorte qu’aucun salarié ne soit licencié, se souvient Georges Kutukdjian, ancien responsable de l’éducation aux droits de l’homme et à la paix (1982-1991). C’était un homme intègre, méticuleux et juste. » Mais les tensions avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni vont lui coûter sa réélection pour un troisième mandat.

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

 

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