Sur les pas d’Amadou Hampâté Bâ

Bintou Sanankoua, une femme au cœur de l’Histoire

Afrique XXI  Portrait (2/3) · Enseignante, militante marxiste et féministe, députée : Bintou Sanankoua a mené une vie de luttes dès les années 1960, à une époque où « la femme sui[vai]t son mari ». Pour l’historienne Madina Thiam, il est urgent de relire ses écrits, qui offrent un antidote contre les dénis d’histoire et esquissent une voie panafricaine et démocratique pour les sociétés ouest-africaines. Portrait en trois épisodes.

(Suite de l’article : « Bintou Sanankoua, une femme au cœur de l’Histoire »)

 

À la fin des années 1970, l’étude de l’histoire de l’Afrique précoloniale est en plein essor. Une première génération d’historiens africains, évoluant pour la plupart entre Dakar et Paris, s’était attelée, à partir du milieu des années 1950, à réhabiliter le passé de l’Afrique de l’Ouest, tout en travaillant à bâtir son futur. Il s’agit notamment d’Abdoulaye Ly, Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo ou encore Sékéné Mody Cissoko. Dans les années 1970, une seconde génération, à l’instar d’Henriette Diabaté, Madina Tall, Abdoulaye Bathily et Boubacar Barry, suit la première et combine, comme elle, recherche scientifique et engagement militant. C’est au sein de cette dernière que s’inscrit le parcours de Bintou Sanankoua.

En 1979, elle rejoint le Centre de recherches africaines, au 9 rue Malher, à Paris, où un ancien camarade du Parti malien du travail (PMT) l’a mise en relation avec le professeur Yves Person. Ancien administrateur colonial, plus tard employé du ministère de l’Éducation nationale de Côte d’Ivoire, puis enseignant et chef du département d’histoire à l’université de Dakar, celui-ci a publié, quelques années plus tôt, une thèse monumentale, Samori : une révolution dyula, issue de quinze années de recherche mêlant archives écrites et sources orales1. Rue Malher, Bintou Sanankoua suit également les cours d’histoire africaine de Jean Devisse, Claude-Hélène Perrot, Jean-Pierre Chrétien, ainsi que ceux dispensés par d’autres historiens à la Sorbonne et à Paris VII, notamment Catherine Coquery-Vidrovitch et Jean-Louis Triaud. Elle évoque cette époque avec nostalgie : « C’était le foisonnement ! »

Elle décrit une atmosphère d’effervescence intellectuelle, épurée de toutes barrières hiérarchiques entre les professeurs et la dizaine d’étudiants originaires d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. On lit, on discute, on débat et on écrit. Finalement, à l’heure de choisir un sujet de thèse, le thème « s’impose à [elle] ». Ce sera un retour aux sources  : sa région natale, et l’éphémère théocratie qu’a érigée Seku Amadu Bari dans le Delta, à Hamdallahi, au XIXe siècle. Ce choix, motivé par le désir de travailler sur une époque majeure de l’histoire du Mali, est également pragmatique : elle sait qu’elle pourra compter sur l’appui et les archives de celui qu’elle appelle affectueusement « le vieux ».

Aux côtés du « vieux »

 

Retour en arrière. Nous sommes en 1958, Amadou Hampâté Bâ vient de fonder l’Institut des sciences humaines de Bamako. Il espère également ouvrir, à terme, un institut de tradition peule à Sévaré, dans la banlieue de Mopti. Ancien employé de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), à Dakar, également passé par l’Unesco, à Paris, Amadou Hampâté Bâ entend faire de ces instituts des plaques tournantes de la recherche. Écrivain, chercheur, fonctionnaire, il a déjà à cette époque une longue carrière à son actif. Il a parcouru toute l’Afrique-Occidentale française (AOF), dispose d’une grande renommée et d’un solide carnet d’adresses.

Ainsi, sa concession familiale, rue 14, dans le quartier de Médine, à Bamako, ne désemplit pas : amis, personnalités politiques, chercheurs, griots s’y succèdent. Toute une aile de la résidence est réservée aux proches et à la famille venus de Bandiagara, sa ville natale, située dans le centre du Mali. Dans la cour, on croise également des jeunes gens venus vivre ou étudier à la capitale, qui ont été confiés au chercheur et à son épouse Baya Diallo. Alors, lorsque sa fille doit quitter le cocon familial de Mopti pour se rendre à Bamako, c’est évidemment chez son ami Hampâté que le docteur Sanankoua l’envoie. Et si Bintou Sanankoua affirme que c’est peut-être là, alors qu’elle assistait au bal d’hommes politiques qui se succédaient à la concession de la rue 14, que son engagement militant est entré « en gestation », nul doute que les années passées auprès du « vieux » ont également semé les germes de son parcours d’historienne.

Je suis arrivée chez A. H. Bâ à son domicile bamakois de Médine en 1958, et je n’en suis jamais pratiquement partie, malgré une carrière professionnelle et une vie de famille indépendante à partir de 1970. Je l’ai côtoyé de très près pendant toutes ces années, vécu avec lui dans toutes ses résidences, beaucoup discuté avec lui sur des sujets divers2.

Quelques années plus tôt, en 1955, Amadou Hampâté Bâ et son collaborateur Jacques Daget publiaient le premier volume de L’Empire Peul du Macina3. Quinze années durant, Amadou Hampâté Bâ a sillonné le Delta et collecté plus d’un millier de témoignages et de traditions orales. Il les compile et en tire cet ouvrage, un récit sur la Dina du Macina, et sa capitale, Hamdallahi. L’État musulman, fondé en 1818, est le fruit d’une révolution menée par Seku Amadu Bari contre les élites religieuses et commerçantes de Djenné et de Tombouctou, et la tutelle des rois de Segu (Ségou). Moins d’un demi-siècle après sa fondation, la Dina tombe, envahie en 1862 par les troupes du chef musulman El Hadj Omar Tall, venu du Fuuta Tooro, au nord du Sénégal actuel.

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Madina Thiam

Madina Thiam est historienne, spécialiste de l’Afrique de l’ouest et du Sahel aux XIXe et XX

Source : Afrique XXI – (Le 13 septembre 2024)

 

 

 

 

 

 

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