France – Comment la Fondation Abbé Pierre et Emmaüs peuvent surmonter l’héritage encombrant de l’abbé Pierre

The Conversation   – Prises dans la tourmente après les révélations, les différentes organisations prennent la difficile décision de renoncer à la figure tutélaire de l’abbé Pierre. Cette distanciation revient à se séparer d’une ressource historique et symbolique très importante.

Le 17 juillet 2024, un communiqué de presse des associations Emmaüs France et International et de la Fondation Abbé Pierre a fait l’effet d’une bombe. Celui-ci relate la publication d’un rapport indépendant, rédigé par le groupe Egaé, une entreprise dédiée à l’égalité femmes-hommes, la prévention des discriminations et des violences au travail. L’enquête publiée par la suite dans Le Monde a révélé au grand public la face sombre d’un homme classé pendant de très nombreuses années comme « la personnalité préférée des Frantançais ».

Henry Grouès (1912-2007), dit l’abbé Pierre et fondateur d’Emmaüs, aurait agressé sexuellement de nombreuses femmes depuis les années 1950 et jusque dans les années 2000. Ces révélations ont eu un impact très fort sur la constellation d’organisations associées à l’abbé Pierre et à Emmaüs. Cet évènement met à jour les difficultés pour une organisation d’utiliser une figure historique comme ressource symbolique et stratégique et de parvenir à se distancier d’une telle ressource.

La figure de l’abbé Pierre, une ressource symbolique fondamentale

 

En 2018, nous avons publié un article portant sur l’utilisation de l’histoire comme ressource stratégique par les organisations. Il s’appuyait sur le cas d’Emmaüs, organisation intimement liée depuis sa création à la personnalité de l’abbé Pierre. Le parcours de ce prêtre, la saga de la fondation d’Emmaüs et un ensemble d’éléments symboliques associés au personnage de l’abbé Pierre, comme sa tenue ou son image publique, ont servi l’organisation, et ce même après la mort de son fondateur.

En témoignaient jusqu’au 8 septembre 2024 le logo et le nom de la Fondation Abbé Pierre, au cœur du réseau des associations se reconnaissant dans le mouvement Emmaüs. De telles ressources historiques représentent à la fois un atout pour la légitimité organisationnelle mais aussi un terrain de lutte de pouvoir.

Les principales contributions de l’article résident d’abord dans l’analyse du rôle des différents acteurs des organisations dans la construction des ressources historiques. Contrairement à des ressources matérielles ou financières, ces ressources sont façonnées à la fois par des agents internes et externes, ce qui la rend difficile à contrôler entièrement par l’organisation elle-même. Les dimensions légendaire et publique de la ressource historique rendent difficile sa privatisation ou son monopole : l’abbé Pierre appartient à tout le monde.

Construire et contrôler un récit à partir des ressources historiques

À partir de ce premier constat, nous proposons des pistes pour les dirigeants d’organisation tentés par l’utilisation des ressources de nature historique pour alimenter leur stratégie. Notre modèle comporte quatre dimensions pour traiter les défis posés par les ressources stratégiques historiques : appropriation, propriété, maintenance et distanciation.

L’appropriation consiste à organiser des éléments dispersés pour construire une narration historique cohérente et simple. Dans le cas d’Emmaüs, cela inclut l’utilisation récurrente de l’appel de l’abbé Pierre au cours de l’hiver 1954 et de son image pour renforcer l’identité et la mission d’Emmaüs. Ensuite,Emmaüs a dû faire face à des défis pour contrôler l’utilisation de l’image de l’abbé Pierre, qui est largement perçue comme un bien public en France. L’organisation a dû mettre en place des mécanismes tels que des droits de propriété intellectuelle pour protéger cette ressource.

Le maintien concerne la préservation, l’enrichissement et la transmission des caractéristiques et valeurs associées à la ressource historique au fil du temps. Pour Emmaüs, cela a impliqué de maintenir les valeurs prônées par l’abbé Pierre, même après sa mort, et de les utiliser pour renforcer la cohésion interne de l’organisation. Enfin, savoir se distancier de la ressource historique lorsque cela est nécessaire pour éviter l’idolâtrie ou la rigidité organisationnelle. Emmaüs a parfois dû s’éloigner dans le passé de la figure de l’abbé Pierre pour permettre une évolution organisationnelle, tout en reconnaissant sa contribution historique.

Prendre de la distance avec l’abbé Pierre

Dans le contexte de cette analyse d’archives, nous avions déjà noté que l’organisation ou certaines de ses parties prenantes avaient essayé à plusieurs reprises depuis les années 1950 de prendre de la distance avec la ressource historique que constituait l’abbé Pierre. Si nous n’avions pas identifié les affaires d’agressions sexuelles évoquées dans le rapport du groupe Egaé, plusieurs sources indiquaient cependant que l’abbé Pierre n’avait pas nécessairement respecté les vœux de chasteté liés à son statut d’ecclésiastique dès les années 1950.

Les enjeux de distanciation de l’abbé Pierre pour la galaxie Emmaüs n’ont pas tenu nécessairement à ces enjeux réputationnels car l’organisation, non confessionnelle, était peu liée à l’Église et à sa hiérarchie, et assez autonome financièrement. L’enjeu était plus de contrôler un individu enclin à la gestion de structures ou le respect des règles en général. Par ailleurs, dans les années 1990, l’abbé Pierre a posé des problèmes à Emmaüs en s’associant au révisionniste Roger Garaudy ou en se rapprochant publiquement d’association « concurrentes » comme le Droit au logement, dont les modalités d’action sinon les objectifs étaient éloignés de ceux d’Emmaüs.

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Source : The Conversation 

 

 

 

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