Mali – Bintou Sanankoua, une femme au cœur de l’Histoire

Historienne, militante et députée du Mali

Afrique XXIPortrait (1/3) · Enseignante, militante marxiste et féministe, députée : Bintou Sanankoua a mené une vie de luttes dès la fin des années 1960, à une époque où « la femme sui[vai]t son mari ». Pour l’historienne Madina Thiam, il est urgent de relire ses écrits, qui offrent un antidote contre les dénis d’histoire et esquissent une voie panafricaine et démocratique pour les sociétés ouest-africaines. Portrait en trois épisodes.

Le delta qui se déploie dans le centre du Mali irrigue une plaine fertile que les crues de deux fleuves, le Niger et le Bani, inondent une fois par an. C’est là, dans la nuit du 3 mai 2015, qu’une détonation retentit dans les ruines de Hamdallahi. La déflagration endommage le mausolée où repose depuis le XIXe siècle Seku Amadu, fondateur de la ville. Bien que personne ne revendique l’attaque, de nombreux regards se tournent vers la Katiba Macina, un groupe armé dont le chef, Amadou Koufa, ne cache ni son inimitié envers les descendants de Seku Amadu, ni son opposition au caractère sacré qu’attribuent de nombreux habitants à sa sépulture. De fait, la profanation du mausolée, écrit le journaliste Adam Thiam (décédé en mars 2021), « fait saigner le cœur de toute une région ».

Dans les médias internationaux, loin des vagues d’indignation provoquées par les bibliothèques brûlées par les djihadistes à Tombouctou, en 2012, l’attentat n’engendre qu’un faible écho. Pourtant, la cité historique de Hamdallahi, qui a produit lettrés et manuscrits, et que le Mali a fait inscrire à la liste indicative du patrimoine mondial de l’Unesco en 2009, est un site clé de l’héritage culturel ouest-africain.

Hamdallahi se situe au cœur du delta intérieur du fleuve Niger, l’étendue vert-bleu qui détonne des variations d’ocre sur les cartes du Sahel. Les terres du delta, tantôt arides, tantôt aqueuses, évoquent, selon l’historien Joseph Ki-Zerbo, « les oasis du désert, et préludent aux espaces verts de la zone guinéenne1. » Situé au sud-ouest de Tombouctou, le delta enveloppe Djenné, Mopti, et Bandiagara, ainsi que les ruines de Hamdallahi. Et si ces dernières sont chères au cœur de nombreux habitants, c’est parce que la ville fut la capitale de la Dina, un État musulman bâti par un fils de la région, Seku Amadu Bari, en 1818.

« On n’écrit pas l’histoire pour faire plaisir »

 

Dans son ouvrage Un empire peul au XIXe siècle : La Diina du Maasina (Karthala, 1990), l’historienne Bintou Sanankoua revient sur l’organisation sociale, religieuse, économique et politique de cet État précolonial ouest-africain. L’ouvrage est le fruit d’un long cheminement, qui a mené son autrice du Mali à la rue Malher, à Paris, en passant par Zinder (Niger), Yaoundé (Cameroun), et Lomé (Togo). Née dans le delta, à Macina, en 1943, Bintou Sanankoua traverse les tumultes de la fin de la colonisation et des premières années des indépendances, y compris la chute de Modibo Keïta, en 1968, à laquelle elle consacrera également un ouvrage2. Historienne, enseignante et chercheuse malienne, plus tard élue députée de Mopti, elle fut engagée dans de nombreuses luttes.

« On n’écrit pas l’histoire pour faire plaisir à une catégorie de personnes ou pour provoquer un pouvoir en place. L’histoire permet aux générations présentes et futures de connaître les faits et actes des générations antérieures. Les historiens africains doivent s’acquitter de cette dette vis-à-vis des générations à venir », affirmait-elle3.

Bintou Sanankoua (à gauche), ses parents, et trois de ses frères et sœurs.
Bintou Sanankoua (à gauche), ses parents, et trois de ses frères et sœurs.
© Collection privée de Bintou Sanankoua

La femme au centre du cliché (voir ci-dessus) attire le regard. Ses tresses ornées de parures, son imposant collier et son port de tête respirent l’élégance. Un homme en costume-cravate et quatre enfants l’entourent. La photo, prise à Mopti au début des années 1950, dresse le portrait d’une famille privilégiée dans le Soudan français de l’après-guerre.

Les deux parents sont originaires de Konza, un village de la région. La mère, Hadja Fatoumata (que ses enfants appellent « Gogo »), entend transmettre la culture et la langue bozos à ses enfants, et ne voit pas d’un bon œil l’éducation française que leur père leur inculque. Mamadou Sanankoua, formé à l’école de médecine de Gorée, au Sénégal, est « médecin africain » de Mopti, et appartient donc à la classe restreinte des fonctionnaires et cadres africains d’Afrique-Occidentale française (AOF). À Mopti, tout le monde connaît le docteur Sanankoua. On le voit souvent parcourir à bicyclette les rues de la ville, bordées de concessions en banco. Rares sont celles dont il n’a pas franchi le seuil pour prodiguer soins et conseils aux familles.

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Madina Thiam

est historienne, spécialiste de l’Afrique de l’ouest et du Sahel aux XIXe et XX

 

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

 

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