Hôtel Kremlin – Mali – « Ça s’est transformé en désillusion pour nous tous »

Afrique XXISérie (2) · En l’espace de quelques années, le Mali, le Burkina Faso et le Niger, trois pays considérés comme relevant du « pré carré » français, ont rompu leur coopération militaire et diplomatique avec l’ancienne puissance coloniale et se sont rapprochés de la Russie, sur fond de guerre contre les groupes djihadistes. Une révolution diplomatique qui a suscité des espoirs de changement, mais qui vire parfois au cauchemar. Direction le Mali dans ce deuxième épisode.

Hôpital Sominé Dolo de Mopti, centre du Mali, vendredi 17 mai 2024. Il est 19 heures. Ici, il fait sombre, les lumières sont éteintes à cause des coupures de courant désormais presque continuelles. Les haut-parleurs de la grande mosquée du centre-ville de Sevaré laissent échapper le cri perçant du muezzin appelant à la prière du soir, mais les têtes ne semblent pas à la dévotion dans cet établissement hospitalier.

Energie du Mali (EDM) n’a pas fourni d’électricité depuis vingt-quatre heures. Une péripétie récurrente depuis plusieurs mois. Dans l’obscurité, les allées et venues des proches des patients, utilisant les lampes torches de leur téléphone, se poursuivent. Il y a beaucoup de patients ici maintenant.

La morgue aussi est pleine. L’un de ses gardiens confie qu’entre mars et mai 2024, la chambre froide a reçu le nombre inhabituellement élevé de deux cents cadavres. « La chaleur et les très longues coupures de courant ont précipité la mort de nombreux patients civils et militaires. Et la séquence noire continue. » Parmi les patients admis dans cet hôpital, il y a des blessés de guerre, tant civils que militaires. « Une dizaine de victimes civiles [des violences liées à la guerre] que j’assistais sont décédées fin avril 2024, faute de soins adéquats, notamment d’électricité et d’oxygène », rapporte un infirmier rencontré dans les couloirs sombres de l’hôpital1.

Voilà des années que le Mali est en proie au djihadisme et aux coupures d’électricité, mais jamais les hôpitaux n’avaient été aussi pleins et jamais l’obscurité n’avait été aussi omniprésente.

Une coopération « décevante »

 

À environ 600 km plus au sud, dans la capitale, Bamako, les principaux hôpitaux, dont le centre hospitalier universitaire Gabriel-Touré et le Point G, sont également dans un état de consternation. Le groupe électrogène, censé prendre le relais lors des coupures de courant à Gabriel-Touré, a cessé de fonctionner en mars et en avril, précipitant la mort de plusieurs patients. « Il n’y a pas de carburant », apprend-on auprès de la direction. Ici, comme dans d’autres structures de santé, les services financiers du gouvernement peinent à fournir du carburant pour faire fonctionner le générateur ; le budget de l’État tourne à vide.

« Nous n’avons plus peur des djihadistes ni du terrorisme ; il n’est pas nécessaire d’aller à l’intérieur [du pays, où se déroulent les combats] », confie Malcolm, membre d’un des groupes d’hommes qui fréquentent les grin (des points de rassemblement) du centre-ville pour évoquer l’actualité du jour. Bamako est désormais également peu sécurisée. »

Se plaignant des attaques criminelles qui ont lieu pendant les nuits noires, il explique que la détérioration de la situation économique et les coupures de courant l’ont affecté directement : l’entreprise métallurgique qui l’employait comme ingénieur est l’une des nombreuses entreprises qui ont dû fermé leurs portes récemment. D’autres, à ce coin de rue, hochent la tête : ils ont subi le même sort. « Vous savez, cette coopération avec les Russes est décevante, conclut Malcolm. Ça s’est transformé en désillusion pour nous tous. Nous nous inquiétons désormais de notre subsistance quotidienne. »

Les militaires, eux, sont tout de même satisfaits et semblent déterminés à rester au pouvoir encore un certain temps. Selon la principale résolution issue du « Dialogue inter-malien » tenu début mai 2024 à Bamako, la junte souhaite prolonger la durée de la transition militaire ; les élections ne sont nulle part envisagées. Entre-temps, ce qu’ils font en termes de gouvernance n’est pas clair : leur activité principale semble être d’attaquer tout ce qui reste de l’ancien colonisateur avec des discours durs, qui comportent invariablement les mots « blanc » et « colonisateur ». Les Russes sont également blancs, mais ils ne sont pas décrits comme tels.

Une rupture, mais pas tant de changements

 

Néanmoins, ni le départ des forces françaises de l’opération Barkhane du territoire malien, en 2022, ni l’arrivée de la Russie (et notamment des hommes du groupe paramilitaire Wagner) quelques mois plus tôt, ni même les nouveaux contrats russes pour une raffinerie d’or ou plusieurs accords de coopération avec Moscou sur la production de pétrole, de gaz, d’uranium et de lithium, n’ont effacé les traces de la présence française.

L’économie repose toujours sur des multinationales telles que TotalEnergies, Orange, Satom et Razel, pour n’en citer que quelques-unes, qui continuent de détenir des parts de marché importantes. Les Français sont tellement ancrés au Mali que les investissements du nouveau partenaire russe auront du mal à gagner du terrain. L’influence de la France sur l’économie reste forte, sans oublier l’accord historique qui a placé les réserves monétaires du franc CFA auprès de la Banque de France.

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Malick Sadibou Coulibaly

Journaliste sous pseudonyme.

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

Suggestion de Kassataya.com :

Au Sahel, bye bye Paris, bonjour Moscou

 

 

 

 

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