Alain Delon, étoile du cinéma français, est mort

Le Monde – Incarnation de l’acteur par excellence, personnage tout autant qu’artiste, Alain Delon, qui aura vécu son art avec une intensité sans égale, est mort à l’âge de 88 ans, selon une déclaration de ses trois enfants à l’Agence France-Presse.

 

En 2010, une campagne de publicité faisait ressurgir un visage de 1968, un homme brun aux yeux bleus, d’une indicible beauté. Les quelques mouvements retenus pour vendre un parfum en trente secondes faisaient surgir des adjectifs convenus, mais inévitables : félin, sensuel, irrésistible. En 2010, Alain Delon avait 75 ans. L’image faisait ressortir l’incarnation définitive de l’acteur, et l’ultime (peut-être la seule) étoile masculine universelle du cinéma français. La publicité utilisait quelques images de La Piscine, un long-métrage inquiétant que l’acteur avait tourné en 1968.

Réalisé par l’un des cinéastes d’élection d’Alain Delon, Jacques Deray, La Piscine faisait luire toutes les facettes de l’acteur, le talent dramatique – troublant –, l’imagerie de luxe et de débauche, la confusion entre vie publique et vie privée (pour ce film, il avait exigé d’avoir pour partenaire la jeune fille qui fut sa fiancée officielle à ses débuts – Romy Schneider) et le scandale. Alors qu’Alain Delon tournait La Piscine à Saint-Tropez, il dut regagner Paris pour témoigner (avant d’être placé en garde à vue) dans l’affaire Markovic, du nom de son garde du corps et factotum, assassiné.

Luchino Visconti et Alain Delon, à Paris, en mars 1961.

 

Alain Delon est ainsi une figure avant d’être un artiste, un visage avant d’être une personne. Il a été l’artisan – pas toujours conscient – de cette construction sans égale dans le paysage français, qui a souvent éclipsé son travail. Peu d’acteurs se sont consacrés avec autant d’intensité au cinéma. Il avait à peine commencé sa carrière qu’il s’est donné tout entier à René Clément dans Plein soleil (1960), à Luchino Visconti dans Rocco et ses frères (1961), marquant les bornes d’un registre (le criminel, selon Patricia Highsmith, la figure dostoïevskienne, selon Visconti) qui a presque toujours été sous-estimé.

Défrayer la chronique

A ce travail, il faut ajouter la part qu’Alain Delon a prise à la conception des films dans lesquels il a joué, pour le meilleur – L’Insoumis (1964), d’Alain Cavalier, Monsieur Klein (1976), de Joseph Losey –, et pour le reste. Mais le travail de l’artiste est passé par le filtre de l’opinion publique. Un spectateur né en 1940 se souviendra de l’éphèbe aux yeux bleus qui paraissait plus souvent qu’à son tour dans les prétoires ; né en 1970, on se rappelle de l’imprécateur qui proclamait aussi bien son amitié pour Jean-Marie Le Pen que son engagement pour la paix en Nouvelle-Calédonie.

Car Alain Delon n’a jamais pu se contenter de faire son métier. A moins que celui-ci ne fût de défrayer la chronique. Prétoires, salles des ventes, champs de courses furent ses royaumes, partout, il pouvait se prévaloir de son sang bleu, celui des stars. En 2013 encore, il exaspérait avec une sortie contre le mariage pour tous « contre nature », lui qui naquit au cinéma sous les auspices de Jean-Claude Brialy et Luchino Visconti. Avant de reprendre la route des théâtres de province, où il jouait chaque soir en compagnie de sa dernière-née, Anouchka, en bon père de famille, lui qui s’est fâché régulièrement et publiquement avec ses fils aînés.

Comment être un patriarche quand on a été un enfant mal aimé ?

Mais comment être un patriarche quand on a été un enfant mal aimé ? Alain Delon est né le 8 novembre 1935 à Sceaux, dans les Hauts-de-Seine, banlieue prospère où son père tenait un petit cinéma, le Régina, et où sa mère, Edith, d’origine corse, travaillait dans une pharmacie. Quand il a 4 ans, ses parents se séparent, et il se retrouve très vite en pension à Issy-les-Moulineaux. L’acteur a raconté que dans l’un des établissements dont il se faisait régulièrement renvoyer, il avait fait partie de la chorale et que celle-ci avait reçu la visite d’Angelo Roncalli, nonce apostolique et futur pape Jean XXIII, qui avait félicité le jeune soprano Alain Delon.

Départ en Indochine

A 15 ans, le garçon décide de partir pour Chicago en compagnie d’un condisciple, mais les deux garçons sont rattrapés à Châtellerault, dans la Vienne. Placé en apprentissage chez son beau-père, charcutier à Bourg-la-Reine, Alain Delon obtient son certificat d’aptitude professionnelle. Il est suffisamment mécontent de sa condition pour chercher à s’engager. L’aviation ne pouvant l’accepter avant plusieurs mois, il choisit la marine. En janvier 1953, à 17 ans, Alain Delon signe un contrat de trois ans et le prolonge de deux afin de suivre ses camarades fusiliers marins en Indochine, où il est envoyé sur le théâtre des opérations.

De retour à Paris, il est tour à tour serveur et fort des Halles, tout en passant ses nuits à Pigalle

Le jeune homme se souvient avoir vu Touchez pas au grisbi, de Jacques Becker, avec Jean Gabin, rue Catinat, à Saïgon. Il admet avoir emprunté une Jeep sans autorisation et l’avoir laissée dans un fossé, avoir volé du matériel, ce qui lui vaut de passer ses 20 ans en prison. De retour en métropole en 1956, il remonte à Paris, où il est tour à tour serveur et fort des Halles, tout en passant ses nuits à Pigalle. Il s’introduit dans les milieux germanopratins, séduit l’actrice Brigitte Auber, se lie d’amitié avec Jean-Claude Brialy, qui le décide à descendre à Cannes, pour l’édition 1957 du Festival.

Alain Delon au festival de Cannes, le 6 mai 1958.

Là, Alain Delon est repéré par Henry Willson, agent hollywoodien spécialisé dans les beaux gosses (Rock Hudson, Tab Hunter). Willson envoie le jeune homme à Rome, où il passe un bout d’essai devant David O. Selznick, qui lui propose un contrat de sept ans, à condition que le Français apprenne l’anglais. Delon regagne Paris et accepte en même temps la proposition d’Yves Allégret, qui lui offre un rôle de petite frappe dans Quand la femme s’en mêle (1957). « Moi, ça ne m’intéressait pas tellement. Alors, Yves a dû se battre, non seulement avec ses producteurs pour m’imposer, mais avec moi. Pratiquement, j’ai accepté de tourner pour lui faire plaisir », explique Delon, peu de temps après.

Premiers rôles

Dans un même mouvement, Alain Delon enchaîne quelques films mineurs : Sois belle et tais-toi (1958), de Marc Allégret, le frère d’Yves, Christine (1958), de Pierre Gaspard-Huit, sur le plateau duquel il rencontre et tombe amoureux de Romy Schneider, et Faibles Femmes (1959), de Michel Boisrond, qui lui offre un premier rôle et constitue autour de lui un entourage, le journaliste Georges Beaume, qui devient son manageur, l’agente Olga Horstig, qui lui fait rencontrer Luchino Visconti, en 1959. L’acteur s’inquiète déjà de son destin, refusant l’étiquette de jeune premier romantique, alors qu’il se sait « le contraire ».

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Source : Le Monde 

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