Guerres mondiales ou d’Algérie, chez les Dieng de Kaolack, on a été tirailleur de père en fils

N’Dongo Dieng, dont le père a fait le débarquement de Provence en août 1944, sera présent à Toulon jeudi, aux côtés de quatre autres Sénégalais, anciens combattants sous les couleurs du drapeau français.

Le Monde – « C’était il y a soixante-dix ans tout juste. » A 89 ans, l’ancien tirailleur africain N’Dongo Dieng n’a rien oublié de son incorporation : « C’était à l’hivernage 1954 », la période pluvieuse courant de juin à octobre au Sénégal. « J’étais dactylo à la préfecture de Kaolack, ma région d’origine. Il y avait une fête pour le 14-Juillet et une chanson a résonné. »

En racontant l’anecdote, le vieil homme s’anime dans sa maison de Mbao, commune voisine de Dakar, et entonne quelques mots de la Marche lorraine. « Au son de cette musique, mon père s’est enthousiasmé et m’a dit : “Pourquoi tu ne deviendrais pas militaire ?” Quelques semaines plus tard, je m’étais présenté à la caserne et j’avais revêtu l’uniforme. »

La famille de N’Dongo Dieng a une longue tradition militaire. Quatre de ses garçons ont intégré les rangs de l’armée ou de la gendarmerie sénégalaise. Son grand-père a combattu sur le sol français durant la première guerre mondiale en tant que tirailleur. « Il n’en est jamais revenu », murmure N’Dongo Dieng. Son père a participé au débarquement de Provence, en août 1944.

Un événement qu’il viendra commémorer ce 15 août, à Toulon, en présence du président français Emmanuel Macron et du ministre sénégalais des armées, Birame Diop, selon l’Elysée. Accompagné par l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais (AMHTS), présidée par la Française Aïssata Seck, élue locale en Seine-Saint-Denis, N’Dongo Dieng prendra l’avion pour la France avec Yoro Diao, Ousmane Sagna et Ousmane Badji. Ils retrouveront Oumar Diémé, qui a porté la flamme olympique le 26 juillet dans le parc de la Courneuve. Les cinq hommes sont nés dans les années 1930 et ont tous combattu sous les couleurs du drapeau français.

« Reconnaissance arrivée trop tard »

 

N’Dongo Dieng, lui, a opéré en Algérie entre 1956 et 1958. « Mon régiment avait envoyé beaucoup de soldats en Indochine. Mais cette guerre était terminée et une autre commençait. Nous sommes quelques-uns à avoir été envoyés dans l’Algérois. » N’Dongo Dieng souffle : « Oui, c’était étrange. Nous étions face à des musulmans africains, comme nous… Mais nous étions militaires. C’est ainsi. »

Les autres tirailleurs que N’Dongo Dieng s’apprête à rejoindre pour les commémorations à Toulon ont aussi participé aux deux grandes guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie. Anthony Guyon, historien et auteur des Tirailleurs sénégalais. De l’indigène au soldat, de 1857 à nos jours (Perrin, 2022), rappelle : « On l’oublie parfois, mais les tirailleurs sont nés de la conquête coloniale, pour la conquête coloniale. Et lors des décolonisations, ils sont encore mobilisés face à des révoltes de peuples colonisés. » L’historien français souligne : « Des dizaines de milliers de tirailleurs sont envoyés en Indochine contre quelques milliers en Algérie. L’état-major français craignait un effet de solidarité entre musulmans. »

N’Dongo Dieng retrace fièrement son parcours sans faute au sein de l’institution militaire française. Le jeune homme d’alors se hisse au grade de caporal, puis devient colonel. Dans la pénombre de sa chambre aux volets clos pour combattre la chaleur, il a posé à côté de sa cafetière, de son calot et de sa canne, une photo de lui, médailles sur le torse.

Des décorations, il en possède plusieurs, notamment la croix du combattant volontaire, une distinction française. Des honneurs qui ne lui font pas oublier les injustices. Ainsi des tâches qui lui incombaient toujours alors que les militaires français du même grade en étaient exemptés. Face à l’adversité, N’Dongo Dieng a toujours redoublé de mérite.

La reconnaissance française envers les tirailleurs africains est « arrivée trop tard », et « n’a pas été à la hauteur de nos sacrifices, c’est évident », regrette-t-il sans se départir de son ton calme. Il rappelle : les milliers de morts sur le Chemin des Dames en 1917, les hommes noirs faits prisonniers et séparés des blancs par les Allemands et sauvagement massacrés comme à Chasselay, en 1940… Longtemps, il a entendu de la bouche des dirigeants français des discours de commémoration qui ne parlaient ni de son grand-père, ni de son père, ni de lui-même.

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 (Dakar, correspondance)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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