Afrique XXI – Reportage · Le 3 août, plusieurs dizaines de personnes se sont réunies à Paris afin de soutenir les régimes militaires malien, nigérien et burkinabè (et le projet de l’Alliance des États du Sahel) et pour dénoncer l’impérialisme. Un rassemblement organisé notamment par des associations de la diaspora malienne, en présence d’influenceurs de renom.
Un véritable village olympique du militantisme. En cette douce après-midi du samedi 3 août 2024, la place de la Nation, dans les 11e et 12e arrondissements de Paris, accueille simultanément un rassemblement d’opposants vénézuéliens dénonçant la réélection contestée du président sortant Nicolás Maduro ; des écologistes réclamant la libération du défenseur des baleines et fondateur de l’ONG Sea Shepherd Paul Watson ; un regroupement de militants propalestiniens ; et enfin une manifestation en soutien à l’Alliance des États du Sahel (AES) qui a tenu son premier sommet en juillet à Niamey, ainsi qu’aux régimes militaires malien, nigérien et burkinabè qui la composent.
L’AES entérine la coopération de ces trois juntes et leur rupture avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), mais certains manifestants veulent surtout y voir le germe d’un futur projet fédéral.
« Les diasporas des États du Sahel disent oui à la Confédération de l’AES », peut-on lire sur une banderole ornée des visages des trois dirigeants du Mali, du Niger et du Burkina Faso : Assimi Goïta, Abdourahamane Tiani et Ibrahim Traoré.
« Sursaut patriotique et international – soutien à la République du Mali contre la Cedeao et les oligarques internationaux », est-il inscrit sur une autre, où figure une multitude de noms d’organisations politiques principalement maliennes : M5-RFP France Apolitique et M5-RFP Diaspora France Europe (apparentes organisatrices du rassemblement)1, URDAC Mali, APEC–UPM, Adéma-PASJ, Fusi Mali, etc. L’espace est contesté par deux militants du Groupe trotskiste pour la reconstruction de la IVe Internationale vendant à la criée leur journal (Révolte jeune, un euro), ainsi que par des scientologues en tee-shirts bleu distribuant des tracts intitulés : « Non à la drogue, Oui à la vie ».
« Amour sincère » et massacres de masse
Au micro d’une sono capricieuse, l’un des organisateurs exhorte la foule à filmer et diffuser en direct pour informer les participants qu’en raison d’un revirement tardif de la préfecture, le rassemblement se tient à Nation et non pas à Bastille, comme précédemment annoncé. La consigne va rapidement se retourner contre lui, la scène improvisée se retrouvant envahie de streameurs pendant les prises de paroles, au grand dam des organisateurs qui les supplient sans succès de reculer. La foule, majoritairement malienne, apparaît mixte sur le plan du genre comme de l’âge.
Les boubous côtoient les maillots de football de l’équipe nationale et les tee-shirts à l’effigie du maître de Bamako, Assimi Goïta, au pouvoir depuis près de quatre ans (août 2020) et à la gloire duquel retentit une chanson. Des femmes proposent à la vente jus de bissap et de gingembre, beignets et beurre de karité. Au micro, un organisateur incite aussi les participants à soutenir la cause en contribuant à une cagnotte, de préférence avec de gros billets : « Peuple de l’AES, ça c’est de l’amour sincère ! »
Les régimes militaires malien, nigérien et burkinabè ont pris le pouvoir par la force entre 2020 et 2023, et n’entendent pour l’instant pas le rendre aux civils, repoussant sans cesse la date des élections. Ils ont imposé une chape de plomb, arrêtant ou poussant à l’exil toutes les voix critiques et censurant la presse. Ils ont par ailleurs fait le choix d’une rupture avec les pays occidentaux – la France en premier lieu – au profit d’une coopération sécuritaire avec la Russie et le groupe de sécurité privée Wagner (renommé Africa Corps récemment), en échange, notamment, de juteuses concessions dans le secteur des matières premières. Mais même avec le renfort de Moscou, les juntes s’avèrent pour le moment incapables de contenir la poussée des groupes djihadistes, l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) affilié à Al-Qaïda.
En revanche, plusieurs rapports d’ONG et des enquêtes journalistiques ont constaté une multiplication des massacres de civils commis par les djihadistes mais aussi par les forces armées nationales et leur partenaire russe, en particulier au Mali et au Burkina Faso. Du 27 au 31 mars 2022, entre 500 et 600 civils ont été exécutés, et de nombreuses femmes violées à Moura, dans la région de Mopti, par les Forces armées maliennes (Fama) et les hommes de Wagner. Le 25 février 2024, 223 personnes auraient été tuées par les forces armées du Burkina Faso dans la province du Yatenga. En juillet 2024, les soldats maliens et burkinabè ont même été accusés de cannibalisme.
Journaliste indépendant,
Source : Afrique XXI
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