Depuis l’ouverture des Jeux olympiques, les Français ont montré leur envie de partager, loin de l’image d’une société divisée émise par les élections européennes et législatives. L’impact de ces moments d’émotion collective autour du sport est cependant incertain, dans le contexte politique marqué par l’attente d’un nouveau gouvernement. Décryptage –
S’agit-il seulement d’une parenthèse joyeuse et légère ? D’une respiration après des semaines en apnée politique dans un pays divisé en proie au doute et aux polémiques ? Ou bien du signe d’un mouvement révélateur de tendances plus positives dans la société française ? A se regarder dans le miroir des Jeux olympiques (JO), depuis leur ouverture le 26 juillet, la France, en tout cas une partie de celle-ci, connaît un moment inhabituel, suspendu, comme si la trêve olympique – cette promesse qui n’a jamais existé dans le monde – se réalisait partiellement dans la société pour quelques semaines.
Les JO ont, d’abord, balayé le reste de l’actualité nationale et internationale, plus anxiogène. Paris, la capitale française, offre un visage inhabituel, sous cloche policière certes, mais avec une forme de bienveillance que racontent les supporteurs croisés dans les fan-zones, aux abords des stades, dans les espaces touristiques ou même sur la butte Montmartre, transformée pour deux après-midis, samedi 3 août et dimanche 4 août, en l’équivalent d’une étape de montagne du Tour de France pour les épreuves masculine et féminine de cyclisme sur route.
Les JO ont aussi commencé par une cérémonie d’ouverture saluée presque unanimement à l’étranger. Le premier ministre démissionnaire, Gabriel Attal, qui avait pourtant passé une partie de la soirée du 26 juillet les yeux sur son téléphone, a vanté un événement qui a fait la « fierté » de la France, au sortir de la réunion d’un gouvernement cantonné à la gestion des affaires courantes dans un moment qui n’est pas courant.
La cérémonie a par ailleurs réveillé une forme de patriotisme de gauche – une notion que droite et extrême droite se sont appropriée depuis des décennies – sur des valeurs d’ouverture et de diversité. Ce qui n’est pas anodin dans une époque où les questions identitaires travaillent et divisent les sociétés européennes.
« Effervescence collective »
La fierté ressentie est sans doute aussi à la hauteur des anticipations négatives, réflexe culturel collectif dans le monde journalistique français, et donc dans le débat public. « Il faut qu’on arrête de râler. Il y a les Jeux qui arrivent à Paris et on va recevoir le monde entier chez nous. Ça va être beau et je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne réalisent pas », s’était, par exemple, agacé Yannick Noah, à la tête de l’équipe de France de tennis fauteuil aux Jeux paralympiques.
La maire de Paris, Anne Hidalgo, avait aussi pris la parole avant le début des JO pour inciter les Parisiens à rester, alors que des sondeurs comme des médias anticipaient la fuite volontaire des habitants : « On va vibrer ensemble. Paris va être magnifique, ne partez pas cet été. Ne partez pas, ce serait une connerie ! Restez, ça va être absolument incroyable ce que vous allez vivre », avait plaidé l’élue socialiste. Quelques jours avant le début des JO, le président du Comité d’organisation des Jeux, Tony Estanguet, avait, lui aussi, dénoncé le « pessimisme latent, permanent » des Français ; le lendemain de la cérémonie, dans le cadre aseptisé d’une conférence de presse du Comité international olympique, il avait exprimé son soulagement et même « une très très belle émotion » en parlant d’un « moment magique ».
Sur les 10 millions de billets mis en vente, les organisateurs annoncent en avoir déjà vendu 9,2 millions, un vrai succès. « L’important dans ces Jeux olympiques, c’est moins d’y gagner que d’y prendre part », avait plaidé un évêque, au moment d’une messe inaugurale pour les JO de Londres, en 1908, une phrase que le très conservateur baron Pierre de Coubertin avait reprise pour sa propre postérité.
La sentence n’a jamais vraiment fonctionné pour les compétiteurs, elle semble valable, en revanche, pour les spectateurs. « Lorsque les gens se rassemblent en de grands groupes, ils ont tendance à expérimenter ce que [le sociologue] Emile Durkheim a décrit comme une “effervescence collective”, un état où les émotions collectives s’intensifient et génèrent un sentiment d’appartenance et d’union », avait écrit, juste avant les JO, François Miquet-Marty, le président de l’institut de sondages Viavoice, à partir d’une étude qualitative sur les supporteurs publiée par la Fondation Jean Jaurès. Il reste toutefois difficile, à ce stade, de jauger la composition sociale des spectateurs, même si la Seine-Saint-Denis se targue, par exemple, d’avoir prévu des milliers de billets gratuits pour les Jeux olympiques et paralympiques.
La magie peut-elle avoir un impact politique ? Le président de la République, Emmanuel Macron, et la ministre des sports démissionnaire, Amélie Oudéa-Castéra, multiplient, certes, les embrassades avec les athlètes français pour les réconforter ou les féliciter, dans l’espoir déconcertant de capter un bout de la lumière.
L’histoire n’incite pas à un optimisme démesuré sur le temps long : la France « black, blanc beur » de 1998, promue après la victoire de l’équipe de France de Zidane, autre héros de la cérémonie du 26 juillet, avait été suivie par le 21 avril 2002 et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Cela avait confirmé que les grands rassemblements populaires ne racontent pas totalement l’état d’un pays ; mais que les élections dépeignent, elles aussi, une partie seulement du visage d’une société.
Le sport, ciment de fraternité
« Les Jeux olympiques ou la Coupe du monde, ça ramène l’idée qu’on est Français, que c’est bien, qu’on est contents d’être ensemble. Encore plus quand on a vécu une division de la société comme jamais, plus marquée qu’en 1968, particulièrement délétère dans le dernier mois », relève Patrick Mignon, sociologue du sport et de la culture, longtemps en poste à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance.
Ali Rabeh, maire (Génération.s) de Trappes, dans les Yvelines, où une fan-zone bat son plein depuis le début des JO, insiste sur les acquis positifs. « Le sport a une vertu, c’est un ciment extraordinaire avec des gens qui fraternisent. Vous ne vous posez pas la question de la religion du type à côté de vous quand vous sautez pour soutenir une équipe ! Le vrai peuple de France est là. » Mais il prévient, de son poste d’observation de la société française : « L’euphorie retombera aussi vite. Le pouvoir d’achat, la rentrée scolaire, un nouveau gouvernement… »
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