Mariem Derwich : « Jamais d’ici, toujours de là, d’ailleurs… »

En débarquant à Paris, le bac en poche, moi l’adolescente de Nouakchott, protégée par le cocon rassurant de la famille, des parents, des amis, la « normalité » des choses, la familiarité des lieux, le sentiment d’un ancrage à la fois douceur et chaîne, je découvrais le monde, tous les mondes.

Cette université où j’allais apprendre, encore apprendre, éblouie par les bibliothèques et par tous ces gens qui ancraient en moi le désir de savoir, devenait un autre lieu d’ancrage, un lieu racines. Je suis née à Nouakchott, j’ai grandi à La Sorbonne, dans le Quartier Latin, dans les manifs d’étudiants… Je découvrais un monde d’idées, de confrontations de points de vue, l’extrême gauche, les nuits blanches couleurs cigarettes et cafés, les cafés où l’on refaisait le monde, repliés sur un « petit noir » qui durait le temps de nos maigres sous…

Naissait alors ma relation d’amour / haine avec la France. Mes miroirs visages qui se réveillaient l’un à l’autre, masques blancs et noirs de langues qui s’entrechoquaient dans les questions infinies et orphelines des mots qui pourraient dire, conter mes visages auxquels seul le miroir inversé aurait pu, aurait tenté le rapiéçage d’un éternel exil qui me respirait encore et encore, sans jamais lier, toujours la peau de l’un à la lueur ténue de l’autre. Être sans être, être, dé être. Va et vient comme servage perpétuel qui me déchire. L’impossibilité d’une couture. Un miroir où un tailleur taillait un patchwork, moi

Depuis ce voyage initiatique, ce premier vrai voyage, je n’ai pas cessé d’arpenter le monde, toujours plus loin, toujours plus étrange, toujours plus fascinant.

Il m’a fallu les rizières thaïlandaises, les « creeks » et montagnes calédoniennes, les immensités australiennes, les fougères arborescentes de Nouvelle Zélande, l’irréalité anglaise, la splendeur rocailleuse espagnole, les forêts allemandes, etc.… pour enfin devenir l’oiseau voyageur que je rêvais d’être.

En me reliant à tous ces gens que j’ai rencontré, en me fondant dans leurs vies, je réalisais que je n’étais, encore et toujours, qu’en recherche d’une identité…

Je transportais cette étrangeté mienne, mon odeur de sables et de vents, ma lignée, mon nom, mon âme, la ville de mon enfance, mon sang mêlé, mes arborescences africaines au coeur des mondes qui voulaient bien de moi.

La petite fille qui jouait aux billes dans les rues de la BMD, l’adolescente qui terminait une classe d’âge au Lycée Nationale, devenait une femme en dé construction et en re construction.

J’avais l’africanité voyageuse.  Jamais d’ici, toujours de là, d’ailleurs… J’étais devenue continent. Le miroir aux visages écorchés…

 

Mariem Derwich

Poétesse mauritanienne

 

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